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confession dans Amour promis se plaint d’être né avec une « sensibilité trop aiguë. » De là tous ses malheurs, et, ce qui nous touche davantage, tout le malheur qu’il répand autour de lui. Il est plein de désirs, et leur réalisation n’égale jamais ce qu’il s’en était promis. Car c’est un trait de ces natures malheureuses qu’elles sont organisées pour ne pas jouir des biens les plus ardemment souhaités et pour souffrir doublement de maux, même imaginaires. Incertaines, changeantes, à la merci de chaque impression, et ne se reconnaissant plus d’un jour à l’autre, ce qui leur manque c’est d’avoir une personnalité assez accusée. Et peut-être est-ce là ce qui les incline à cette perpétuelle étude d’elles-mêmes. C’est faute de pouvoir jamais se trouver qu’elles se cherchent sans cesse. Elles se perdent dans leurs propres complications qui vont à l’infini. Et l’analyse où elles se complaisent, loin d’être un remède au mal, va encore l’aggravant. Le jeune homme inquiet dont Emile Clermont nous conte la déplorable aventure est un fervent de l’analyse. Il tente d’y convertir Hélène, la jeune fille dont il fera sa victime. « Vous avez en vous, lui dit ce fâcheux directeur de conscience, un grand nombre de sentimens qui vous sont communs avec les personnes qui vous entourent et même qui vous ont été inculqués par elles. » Mais vous en avez d’autres aussi qui vous sont propres, que vous ne devez qu’à vous-même. Attachez-vous à connaître et à développer ces derniers : vous arriverez ainsi à une vie plus personnelle et plus profonde. » Donc, le conseil qu’il lui donne, c’est de se singulariser. Il l’engage dans les voies de l’individualisme. Aussi, combien nous approuvons Hélène lorsque, se repentant d’avoir été une trop fidèle disciple, elle constate l’effet de ces dangereuses leçons : « Déjà je m’accordais mal avec les personnes avec qui je dois vivre, et à moins que je ne me fisse à nouveau pareille à elles, cette distance devait s’accroître de jour en jour : je finirais par ne plus m’intéresser à rien de ce qui les intéresse : cela leur serait pénible et à moi aussi. Pour une jeune fille, c’est impossible. Je crois que si l’on se sent différente des autres, le mieux est de s’appliquer à leur ressembler. » La qualité de l’enseignement lui a ouvert les yeux sur les mérites du professeur : « Il y a en vous quelque chose d’incertain et de fuyant : on dirait que vous ne cherchez partout que des occasions de faire vibrer vos pensées... Sans doute,