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à la campagne. Il en aimait le calme et la solitude, il découvrait dans l’incessante mobilité des aspects de la nature de secrètes affinités avec les mouvemens de son âme.

Un genre devait le tenter : le roman d’analyse. Il y excella tout de suite. Ses deux livres : Amour promis et Laure, appartiennent à cette forme traditionnelle de notre littérature que les romantiques ont reprise aux classiques, et que nous avons héritée d’eux. C’est le roman sans incidens venus de l’extérieur, sans détails pittoresques et qui datent. L’auteur d’Amour promis nous explique qu’il n’expose pas de situations neuves et frappantes, mais une histoire monotone malgré sa fin tragique. Et celui de Laure nous fait une déclaration toute pareille : « Cette histoire est presque sans âge et sans date : elle pourrait s’être accomplie il y a deux siècles, et c’est à peine s’il s’y trouve un certain frémissement qui la fait d’aujourd’hui. » La trame de tels récits n’est autre que l’étoffe même de nos sentimens. Le mouvement ne vient que de la progression du travail intérieur. Il s’accomplit, ce travail, lentement, sourdement, et à notre insu, mais d’ailleurs sans interruption, sans trêve, et soudain il se révèle, il nous apparaît à nous-mêmes. Un geste, un mot, moins encore, l’air dont ce geste est fait, l’accent de la voix qui prononce ce mot, prend une signification imprévue, trahit le chemin parcouru. L’atmosphère même est imprégnée de pensée, chargée d’une électricité morale : on y respire de l’angoisse, de la gêne, ou de la cordialité et de la joie. « Même un étranger qui eût, par hasard, entendu cette conversation lente et coupée eût remarqué combien elle éveillait d’échos en chacun des assistans, et combien, à cause de tout ce mouvement d’âmes, elle se déroulait avec solennité. » Il va sans dire qu’un tel genre de récits ne s’adresse qu’à une élite. Ceux qui n’ont aucune part à cette vie intérieure n’en peuvent goûter la minutieuse description. Mais il ravit ceux pour qui les choses de l’âme sont la grande affaire.

Une série de chefs-d’œuvre, au début du XIXe siècle, a fixé pour longtemps le caractère du roman d’analyse. Tandis que le XVIIe siècle, qui est par excellence le siècle de la littérature psychologique, s’appliquait à connaître les sentimens les plus répandus et à les étudier dans leur plus grande généralité, le XIXe siècle a surtout été attentif aux cas singuliers, aux déformations exceptionnelles. Le jeune homme qui nous fait sa