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indications sur les façons de vivre de jadis. Emile Clermont a pu feuilleter, dans la bibliothèque de famille, ces mémoires qui étaient ceux des siens. Il a rêvé entre leurs pages. Il a eu ainsi, de très bonne heure, la sensation de toutes ces existences qui ont précédé la nôtre et que la nôtre continue. Il a éprouvé en lui l’influence bienfaisante de ce long passé, de ce passé tutélaire. C’est un fait que l’éclosion d’une certaine fleur de noblesse morale suppose une culture et veut la collaboration du temps. Une mère très douce, très tendre, a pu lui léguer ce qu’il y avait en lui de sensibilité presque féminine. Son père, ingénieur, lisait Virgile à la chasse et faisait des vers latins. Ainsi le futur écrivain trouvait partout, autour de lui et derrière lui, dans l’atmosphère familiale comme dans les souvenirs de son ascendance, le goût des choses de l’esprit et l’habitude de la délicatesse morale.

Son enfance s’écoula, triste et maladive, dans la morne grisaille d’une ville industrielle. Des bâtimens enfumés, de laides maisons, des rues sordides : pas une échappée de verdure, pas un monument. « Combien de fois, depuis, en voyant dans plusieurs villes de province de bonnes cathédrales gothiques qui se haussent au-dessus des toits voisins avec cet air ailé que leur donnent leurs chimères et leurs gargouilles, combien de fois j’ai regretté qu’une œuvre d’art pareille n’ait pas abrité mes premiers désirs ! Elle m’eût donné une image nette de la beauté : elle m’eût épargné peut-être la stérile mélancolie. » Sur cette organisation débile, sur ces nerfs tendus les impressions douloureuses s’inscrivaient profondément. Vers la douzième année, l’enfant eut la révélation des réalités de la mort. Ce fut pour lui une sorte de tragédie intérieure. Longtemps il lui fut impossible d’en secouer l’émotion trop forte : comment cheminer gaiement dans la vie quand on sait l’abîme où elle aboutit ? Ainsi, tout lui était une occasion de rentrer davantage en lui-même, de se replier sur soi, de s’enfoncer dans un travail précoce de réflexion et de méditation.

A l’Ecole normale, il s’était spécialisé dans les études historiques. Mais il n’était fait ni pour l’enseignement de l’histoire, ni pour l’enseignement. Il reconnut son erreur et désormais se consacra tout entier à la littérature d’imagination. Il voyagea, surtout en Italie : son premier livre a été écrit dans une retraite silencieuse et parfumée, à Monte Oliveto. Puis il se fixa