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ÉMILE CLERMONT

Parmi tant de pertes qu’ont faites les lettres françaises, depuis le début de cette guerre, la mort d’Emile Clermont est une des plus douloureuses. Nos lecteurs n’ont pas oublié ce roman de Laure, d’une psychologie si pénétrante, d’une si fine sensibilité, d’une mélancolie si noble, un de ces livres chers aux délicats et qui faisait songer au Dominique de Fromentin. Celui qui, à trente-deux ans, écrivait de telles pages, promettait de devenir un maître. Il est tombé, le 5 mars, à Suippes en Champagne, en s’exposant pour ses hommes dans une de ces héroïques folies de sacrifice familières à nos officiers. Sa fin glorieuse n’ajoute pas seulement une page au livre d’or des écrivains tués à l’ennemi. Depuis qu’il était aux armées, un changement s’était fait dans ses idées, dans ses sentimens, qui témoigne pour beaucoup de ses compagnons d’âge. Type d’intellectuel, esprit subtil et qui se plaisait aux complications de l’analyse, âme inquiète, cœur souffrant, il était aussi peu que possible préparé aux besognes de la guerre. Comment il les a acceptées, les plus dures et les plus périlleuses, quelle influence avait eue sur lui la vie militaire, quelle transformation la guerre avait opérée en lui, c’est la magnifique leçon qui se dégage de cette vie et de cette mort.

Emile Clermont appartenait à une de ces familles de bourgeoisie provinciale en qui se perpétuent les meilleures traditions de la race. Ses romans, faits, pour une bonne part, d’impressions et de confidences personnelles, contiennent plus d’un trait de biographie. Il est parlé, dans Laure, d’une famille où un représentant de chaque génération laissait des mémoires intimes, souvent dénués d’art et de couleur, mais riches en