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Je transcris cette page avec une émotion que partageront, j’en suis sûr, tous ceux qui la liront. Elle me toucherait moins, je l’avoue, si elle était d’aujourd’hui, si elle datait d’une époque où nos ennemis mêmes rendent hommage à la virilité de notre effort, et où les neutres impartiaux et informés ne cessent de nous exprimer leur admiration et leur sympathie. Oui, aujourd’hui, le monde entier le sent bien, la France ne peut pas périr, et en héroïsme, en grandeur morale, elle ne le cède à aucune autre nation. Mais il y a huit ans, à l’époque où écrivait M. Barrett Wendell, il n’en était pas ainsi, et ses pressentimens ont dû faire sourire plus d’un de ses compatriotes. La France était alors très discutée au dehors, et ce n’est pas seulement en Allemagne que l’on parlait couramment de sa décadence. M. Barrett Wendell a été pour notre pays l’ami des mauvais jours. Il nous a apporté son libre et désintéressé témoignage. Dans la France telle qu’il la voyait, il a su discerner, deviner la plus grande France d’aujourd’hui. Il a été l’un des annonciateurs du « miracle français. » Notre union devant l’ennemi, notre courage et notre endurance, ont dû le surprendre moins que personne ; nul ne sera moins étonné ni plus heureux de notre victoire. Et les Allemands, alors, se repentiront peut-être de ne pas l’avoir mieux lu.

M. Barrett Wendell écrivait encore, et ce sont les dernières lignes de son livre :

« Aux Français eux-mêmes, la République apparaît moins comme un régime national que comme un régime de parti. J’aspire, ainsi que les meilleurs d’entre eux, à ce temps où, n’étant plus le gouvernement d’un parti, elle sera le gouvernement national ; et ce temps, je crois qu’il viendra. Mais, même alors, nous serons plus justes envers l’entière magnificence du passé, si nous saluons la République comme la France, et non pas la France comme la République. Ce n’est pas trop du terme le plus grand pour embrasser l’âme totale de cette nation. »

Nous avons, depuis vingt et un mois, assez bien suivi cet excellent conseil d’un noble ami de la France. Puissions-nous, la guerre une fois finie, être assez sages pour continuer à lui donner raison !


VICTOR GIRAUD.