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est arrivée à l’instant où l’entente ne semble plus chimérique. » Et comme s’il pressentait « l’union sacrée, » lui qui a rencontré « d’admirables gentlemen » dans tous les partis, il écrit ces paroles véritablement prophétiques : « Le dissentiment en France est moins vital que les Français ne semblent le croire. Il y a des symptômes qu’un moment va peut-être venir, prochainement, où les Français eux-mêmes se montreront plus justes à l’égard les uns des autres qu’il ne leur a été possible de l’être au cours si troublé du XIXe siècle. »

Et veut-on savoir l’un des faits symptomatiques sur lesquels s’appuie l’écrivain américain pour y fonder son rêve, ou son espérance ? On connaît l’admirable réponse du duc d’Aumale à Bazaine, en plein conseil de guerre : « Il ne restait rien, » disait ce dernier, pour justifier sa capitulation. — « Monsieur le Maréchal, riposta le Prince, il restait la France. » Eh bien ! à tant de reprises, dans des milieux si différens, M. Barrett Wendell a entendu citer et approuver ce mot, que cette unanimité dans l’approbation lui a paru symbolique. Et ce n’est pas, je crois, forcer sa pensée de dire qu’il a eu le pressentiment ou l’intuition que ce qui referait l’unité française, ce serait le patriotisme français.

« Oui, il restait la France, — s’écrie-t-il dans un très beau mouvement, — et elle est encore là, et elle demeurera... Elle est la France de la Chanson de Roland, la France de saint Louis, la France de Jeanne d’Arc. Elle est la France de la Renaissance, et la France de Henri IV. Elle est la France de Richelieu et la France qui déploya sur la civilisation européenne son étendard impérial, pendant le grand siècle de Louis XIV. Elle est la France de l’Ancien Régime aussi bien que la France de la Révolution et que la France de l’Empire. Elle est la France de cet ambitieux et déconcertant XIXe siècle que nous avons parcouru ensemble. Aucun de ses souvenirs, et nul autre, parmi les milliers d’autres qu’ils évoquent, n’a créé, à lui seul, la France d’aujourd’hui. Tous ont besoin de s’unir pour faire la France héroïque, aucun n’étant isolé, mis à part ou négligé. Sans toutes les gloires de son glorieux passé, la France serait la plus pauvre et la moindre des nations. Toutes ensemble, saignantes ou rayonnantes, ces gloires créent la France, cette source intarissable de noblesse, que ceux qui sont admis à la connaître, et par là même à la chérir, sentent devoir exister à jamais. »