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sien ne saurait convenir à aucune société humaine. Mais elle a laissé des traces ineffaçables, et elle a créé une tradition toujours vivante, et toujours prête à s’opposer à celle qu’elle prétendait remplacer.

Car la tradition qui soutenait l’Ancien Régime, et qui, au total, se reflète encore dans les mœurs actuelles de la communauté française, cette tradition n’a pas disparu, même politiquement, et à deux reprises, comme on sait, elle a ressaisi le pouvoir au cours du XIXe siècle. Mais ce même XIXe siècle en a vu naître une troisième, la tradition impérialiste qui, intermédiaire entre les deux autres, a eu ses jours de gloire, et a marqué d’une forte empreinte la société qui, par deux fois, s’y est soumise. De sorte que, jusqu’en 1870, l’histoire française peut se ramener à la lutte et au triomphe alternatif de ces trois traditions contraires, et que l’instabilité politique semble être devenue la loi la plus constante de son développement.

Depuis 1870, un régime non pas nouveau, mais renouvelé, et assez conforme à la tradition révolutionnaire, est sorti des circonstances, et non sans luttes, non sans difficultés, il a fini peu à peu par s’imposer. Il a duré déjà beaucoup plus qu’aucun des régimes qui se sont succédé en France depuis 1789, et s’il a encore des adversaires, si les traditions adverses ont encore leurs défenseurs et leurs représentans, on ne saurait nier qu’il corresponde aux sentimens et aux vœux de la majorité du pays. Il parait plus conforme qu’aucun autre aux aspirations démocratiques qui, de toute évidence, dominent dans la France contemporaine ; enfin, il est fort de sa durée même. Seulement, il faut bien reconnaître qu’il n’a pas réussi, jusqu’à présent, à faire l’unité morale d’une nation qui demeure fort divisée, et dont les différens partis politiques sont animés à l’égard les uns des autres de sentimens peu concilians. « Où que vous alliez en France, note M. Barrett Wendell, vous trouvez des témoignages de cet état d’esprit agressif, donnés par la fraction de tout parti qui a occupé le pouvoir, ne serait-ce qu’un instant. » Celui qui l’occupe actuellement se souvient trop d’avoir été jadis dans l’opposition ; il reste un parti militant et intolérant ; il n’a pas encore pardonné à ses adversaires de la veille ; il gouverne souvent contre eux. « La République, dit bien joliment l’auteur américain, ne se sent pas encore assez sûre d’elle-même pour admettre le passé. De son propre aveu, elle révèle ainsi ce