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l’aventure pourra être répétée avec les mots anciens. Et ainsi de suite, à moins que, bientôt, l’intelligence merveilleuse de la France ne s’éveille à la véritable sagesse d’une tolérance qui, par delà toutes ces luttes, semble déjà apparaître. » Acceptons-en l’augure ; et souhaitons, quand il reviendra en France, que l’auteur de la France d’aujourd’hui se félicite d’avoir été bon prophète.


VI

Il l’a été, en tout cas, nous l’allons voir, et d’une manière bien remarquable, dans quelques-unes des pages qu’il a consacrées à la France politique et sociale.

Il constate tout d’abord, fort justement, que notre histoire tout entière, depuis plus d’un siècle, est dominée par un fait essentiel, la Révolution française. Ce grand événement, qu’il est si difficile, aujourd’hui encore, à un Français, d’apprécier avec impartialité, était dans la nature des choses. La contradiction croissante qui se manifestait, au cours du XVIIIe siècle, entre les institutions et l’esprit général du temps, rendait inévitable une crise révolutionnaire. Mais ce qui caractérise la Révolution française, et la différencie, par exemple, si profondément de la Révolution d’Amérique, c’est son « radicalisme. » La Révolution française commence par faire table rase du passé ; elle veut reconstruire non seulement la France, mais l’humanité même sur un nouveau plan : bien française en cela, s’il est vrai que l’esprit français, logique et systématique à l’excès, généreux certes, mais follement idéaliste, ignore ou dédaigne les compromis, les demi-mesures, les innombrables contingences qui sont la menue monnaie de la vie sociale. Qu’elle dût aboutir nécessairement à de terribles désordres, et même à des crimes, c’est ce qui était d’autant moins surprenant que le tempérament français est, d’une manière générale, aussi peu révolutionnaire que possible. « Cette tentative, dit excellemment M. Barrett Wendell, cette tentative fut faite avec un enthousiasme sectaire, au sein d’un peuple qui, aujourd’hui encore, demeure, dans l’ordre privé, le plus strictement prudent, le plus instinctivement conservateur de tous les peuples modernes. » La Révolution a agi à la manière d’un cataclysme. Elle a finalement échoué, parce qu’il faut bien que la vie réelle reprenne ses droits, et parce que l’idéal d’ « anarchie mystique » qui était le