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proclamer les Droits de l’homme. Que l’on songe aussi au retentissement mondial de nos révolutions de 1830 et de 1848. Le Français est un éternel croisé, et, « soldat du Christ » ou « soldat de la liberté, » les grandes causes idéalistes trouvent en lui un champion toujours prêt.

C’est ce qu’a très bien senti M. Barrett Wendell, et, si, en la résumant ainsi, je précise un peu sa pensée, je ne crois point la déformer. Venu en France à un moment où l’anticléricalisme officiel faisait rage et aurait pu donner le change aisément à un observateur prévenu ou superficiel, il maintient son opinion : « Mieux vous apprenez à connaître les Français, — insiste-t-il, — aujourd’hui encore, plus sûrement vous vous rendez compte qu’au fond de leur cœur, ils demeurent profondément religieux. » Ses impressions datent de loin à cet égard. Venu tout enfant en France, dans les dernières années du second Empire, il avait, à la Madeleine, assistant à une cérémonie religieuse, vu passer un prêtre dont « l’inoubliable figure » le transporta d’admiration : « cette prestance grave et belle était celle d’un saint, d’un être venu de quelque monde plus beau que celui qu’il avait jamais pu rêver. » Une dame qui fut témoin de son émerveillement, l’assura que « cette beauté spirituelle était plus vraiment française que toutes les vanités sur lesquelles les voyageurs frivoles jugeaient la France entière. Chacun peut constater notre légèreté, ajouta-t-elle, mais nul ne nous connaît entièrement, s’il ignore notre piété. » Cette parole profonde commentant une « merveilleuse impression » d’enfance, dut faire son chemin dans l’esprit de l’écrivain américain, car, longtemps après, il en éprouvait la justesse. Il avait, depuis, longuement médité et rêvé dans « la vastité sombre » des cathédrales françaises, et la leçon qu’il en emportait était celle-ci : « Pour qu’un peuple, une race, un mélange de races ait pu nous laisser des œuvres comme celles-là, — au milieu du terre à terre étouffant et troublant du milieu, — il fallait qu’il fût dominé par la puissance de la religion. » Puis, son expérience des choses françaises devenant plus large et plus intime, bien qu’il avoue avoir peu fréquenté de prêtres, et ses préjugés de protestant cédant peu à peu la place à une vue impartiale et sereine des réalités, il en est arrivé à rendre aux institutions et aux hommes du catholicisme français un très sympathique hommage : « Au fur et à mesure, écrit-il, que les mois s’écoulaient,