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instinctivement et profondément religieux. » Enfin ! voici un étranger qui, sans s’arrêter aux apparences, aux préjugés courans, aux formules toutes faites, prononce la parole décisive que nous attendions, et que tant d’autres, parmi nous, hésitent à prononcer ! Comme ils se trompent, ceux qui, déconcertés par notre ironie, notre promptitude à sourire, nos habitudes de raillerie, notre affectation d’élégant scepticisme, nos fanfaronnades de libre pensée, bref, toute l’écume de notre esprit, nous font une réputation de facile incrédulité ! Irréligieux, le pays des Croisades et des cathédrales gothiques, le pays de saint Louis, de Jeanne d’Arc et de Pascal, le pays des guerres de religion et des guerres révolutionnaires ! Il l’est si peu que son irréligion même est d’essence religieuse. Car, d’abord, comme le dit très bien M. Barrett Wendell, « la négation de la croyance est aussi une croyance. » Mais il y a des négations qui, calmes, sereines, souriantes, se défendent comme d’une indiscrétion de toute velléité de propagande. Il en est d’autres, au contraire, qui brûlent de se répandre, et de faire des conversions. Elles ont une confiance en elles-mêmes, une intrépidité d’affirmation, une ardeur de générosité, une flamme de prosélytisme, bref, tout ce qui caractérise les croyances religieuses. Le credo a changé, l’âme est restée la même. Telle est bien l’irréligion française. Le Français est incapable de garder pour soi la vérité qu’il croit posséder ; il veut la communiquer à l’univers entier ; il enseigne, il prêche, il répand la bonne parole ; il est né apôtre. S’il s’est si promptement converti au christianisme, c’est qu’en vertu d’une sorte d’harmonie préétablie, le christianisme répondait à ses dispositions les plus permanentes et les plus intimes. Si, parmi bien des vicissitudes de pensée et d’histoire, il est resté foncièrement catholique, c’est que, par définition même, le catholicisme embrasse l’humanité tout entière. Le Français a l’instinct, le besoin, le génie de l’universel. Voyez nos révolutions comparées à celles des autres peuples. Rien de plus strictement local et national que la révolution anglaise, qui, pourtant, était, dans son fond, une révolution religieuse. La Révolution française qui, elle, était d’abord une révolution politique, a bien vite débordé les frontières françaises, et elle a procédé, — combien d’autres, après Tocqueville, l’ont déjà observé ! — à la façon d’une révolution religieuse. Elle a légiféré pour l’univers entier, et son premier geste a été de