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bien amusante et intéressante. Et quant à son fils, on ne peut s’empêcher d’être étonné du contraste que présente la morale rigoureuse qu’il nous prêche avec les sujets souvent fort scabreux qu’il étudie et la verdeur d’expression dont il ne se départ guère. C’est qu’ayant longtemps vécu dans un milieu fort libre, il utilisait dans son œuvre son expérience personnelle, tout en la jugeant et en la condamnant. Ses intentions étaient plus irréprochables que son langage. Il y aurait quelque pharisaïsme à lui en faire un crime.

Au total, si la littérature française est fort loin d’être l’image fidèle, exacte et complète de la vie française, on peut le regretter, mais il n’en faut rien induire, — et au contraire, — contre la moralité française. De ce que les histoires de crimes remplissent les colonnes des journaux américains, et de ce qu’elles sont lues avec passion, va-t-on conclure que la plupart des Yankees sont, à tout le moins, des voleurs ? Dans les deux cas, la lecture est un délassement, une distraction. « En France, cette distraction a un grand mérite intrinsèque ; en Amérique, elle n’a que la valeur éphémère du journalisme populaire. Dans les deux cas, la relation avec la vie de chaque jour est la même... Dans chacun des cas, les faits présentés sont substantiellement vrais ; dans chaque cas, ils sont comparativement exceptionnels. »

Il y a bien de l’ingéniosité et bien du bon sens dans cet ensemble d’observations, — je ne dis pas dans ce plaidoyer, car M. Barrett Wendell se défend d’avoir voulu écrire une « apologie. » Tout en lui donnant raison, on peut souhaiter que nos écrivains s’attachent à moins donner prise à de trop faciles jugemens téméraires, car, hélas ! tous les étrangers n’ont pas la prudence et la perspicacité de M. Barrett Wendell [1].


V

Où cette perspicacité devient tout à fait admirable, c’est dans les pages que l’auteur américain consacre à la question religieuse. « Pour commencer, dira-t-il, il est difficile de bien connaître les Français sans s’apercevoir qu’ils sont un peuple

  1. Ne pourrait-on pas dire aussi que la littérature d’imagination, même en France, n’est pas toute la littérature ? Mais à quoi bon prolonger une discussion qui, même réduite à ces termes, aboutit à une démonstration aussi péremptoire ?