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s’étalent sans vergogne un peu partout. Assurément, tout cela a contribué, en partie, à former l’opinion étrangère sur la France, mais ne suffirait pas à l’expliquer totalement.

Allons au fond des chose. Ce qui entretient et semble justifier les préventions anglo-saxonnes, —M. Barrett Wendell ne dit pas « germaniques » parce que les manœuvres de « l’avant-guerre » lui ont sans doute échappé, comme elles nous ont échappé à nous-mêmes, — c’est le caractère même de la littérature française contemporaine, dans ses parties les plus riches et les plus justement célèbres, le roman et le théâtre. Rien de plus libre en effet, dans les sujets comme dans l’expression, que nos œuvres romanesques et dramatiques ; rien de moins fait, à la différence des livres anglais ou américains, pour l’éducation de la jeunesse. Si l’on jugeait, — ce que font volontiers les étrangers, — par sa littérature d’imagination la société française contemporaine, on serait tenté de croire que cette société est profondément corrompue, ce qui est à peu près le contraire de la réalité. D’où vient cette paradoxale contradiction entre la littérature et la vie françaises ?

Le principe de cette opposition, selon l’auteur de la France d’aujourd’hui, serait le suivant. Tandis que, dans les pays anglo-saxons, les romanciers ou dramaturges écrivent pour « quiconque sait lire, » les écrivains français s’adressent exclusivement aux adultes. Maxima reverentia debetur pueris : cela est vrai en Amérique ou en Angleterre comme en France. « La différence, — ajoute spirituellement M. Barrett Wendell, — c’est que nous sommes disposés à témoigner notre respect aux enfans par l’attention avec laquelle nous composons les rayons de nos bibliothèques, tandis que les Français trouvent plus simple d’en tenir les portes fermées. »

Lequel de ces principes est le meilleur ? Répondant l’un et l’autre à des réalités ethniques et psychologiques, à des divergences d’idées, d’éducation et de tempérament, ils ont tous deux leur raison d’être. L’Anglo-Saxon abandonne volontiers ses enfans à eux-mêmes ; le Français surveille les siens davantage, « Nous (les Anglo-Saxons) désirons développer l’individu ; chez eux (les Français), le premier sentiment est de maintenir le système social. »

Il suit de là diverses conséquences. Le public français étant plus restreint, plus mûr et, partant, plus cultivé que le public