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l’ayant si souvent surpris sur des lèvres allemandes. Il est trop évident qu’une Allemande ne saurait jamais pardonner à une Française d’avoir quelque grâce et un peu d’esprit, — et de savoir s’habiller. Quoi qu’il en soit, M. Barrett Wendell, lui, a pris très vite son parti de ces effroyables défauts. Il a été sensible, certes, et autant qu’on peut l’être, au charme souriant et discret, à l’élégance innée, à la vivacité spirituelle, à la grâce enfin de la vraie Française. Mais il a été surtout surpris, et littéralement émerveillé, de tout ce que ces qualités extérieures recouvraient, — et parfois, volontairement dissimulaient, — de sérieux, d’activité, d’intelligence pratique, d’assiduité au devoir quotidien. Qu’un être humain puisse concilier des dons si différens, c’est ce qu’il avait peine à concevoir avant de venir en France : il s’attendait à trouver de jolies poupées, et il a trouvé des femmes, de vraies femmes, comme il n’en avait peut-être pas beaucoup rencontré jusqu’alors, et surtout d’honnêtes femmes. Et sa surprise, son émerveillement joyeux se traduisent dans la façon presque lyrique, mais très judicieuse aussi, dont il nous confie sa découverte :

« Dans aucune langue humaine, je crois, on n’a jamais enclos une signification plus admirable que celle que vous découvrirez, avec une respectueuse émotion, quand vous en viendrez à la comprendre parfaitement, dans ces mots français : « l’honnête femme. » Les Françaises qui sont dignes de ce nom sont innombrables dans la France entière. Elle ne sont pas seulement le plus beau type de la femme de ce pays ; elles sont les plus puissantes, les plus nombreuses, les plus profondément représentatives. Si elles ne sont pas celles que distingue d’abord l’œil de l’indifférent, de l’étranger, de l’artiste, c’est, en partie, parce que, comme l’air et la lumière, elles se rencontrent partout, c’est aussi parce que le soin silencieux qu’elles apportent à accomplir leurs devoirs les rend invisibles. Elles ne seraient pas elles-mêmes si elles ne gardaient pas la foi conjugale, — et cette foi, non seulement par la fidélité de leur personne, ce qui est le sens le plus immédiat de ces mots, mais aussi la foi envers leur mari, à travers les soucis complexes et inquiétans d’une responsabilité incessante. L’amour conjugal ne serait pas complet sans cette amitié conjugale qui dure, elle aussi, autant que la vie. Mais toute l’amitié et tout l’amour conjugaux imaginables ne suffiraient pas davantage sans cette observance