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temps oublié de ceux pour qui les mots sont seulement des mots. Le terme foyer n’évoque plus l’image romanesque des feux de joie tremblans dans les huttes ou les châteaux, des chevrons et des chaumières enfumées, des personnages légendaires ou antiques, gracieux ou naïfs, qui chauffent leurs mains transparentes au-dessus des charbons ardens et qui redisent les contes de tout ce qui fut, — les héros, les saints, les aventures, les farces, les aïeux et les ennemis, les conquêtes et les désastres, les amours et les morts, les famines et les moissons et les troupeaux. Et cependant, tous les trésors d’émotions que le Français puise dans ce mot, aujourd’hui encore, pourraient difficilement avoir émergé d’une antiquité humaine moins immémoriale que celle d’où ont jailli toutes ces fantaisies, qui remontent aux temps les plus reculés... Quand vous commencez à vous rendre, avec sympathie, compte du sens de la vie de ces amis, qui vous accueillent si généreusement à leur foyer..., vous comprenez de façon nouvelle et plus respectueuse le sens que les Lares et les Pénates avaient pour l’imagination religieuse de la Rome antique... Pour le respect tendre du sens, on en vient quelquefois à penser que, par sa plénitude, le terme foyer est plus parfait qu’aucun mot de notre langue, »

Voilà, n’est-il pas vrai ? une bien jolie page, fine, exacte, émue et profonde. On ne saurait mieux pénétrer dans une âme étrangère, plus subtilement analyser les nuances infiniment délicates et complexes qui font de certains mots d’une langue comme de véritables personnes morales. Le mot foyer, en français, est de ceux-là. En dégager le sens, comme l’a fait M. Barrett Wendell, c’est, en réalité, faire de la psychologie ethnique, et de la plus heureuse.

Donc, « pour l’esprit français, la famille est le fait social primitif. » Et si la famille est en France chose si solide, nul doute que le principal mérite n’en revienne à la femme. M. Barrett Wendell, qui a découvert la famille française, a découvert aussi la femme française. Bien qu’il ne nous le dise pas, j’imagine qu’il partageait, en arrivant en France, les préjugés que nombre d’étrangers professent à l’égard des Françaises, dont ils ne cessent de dénoncer la scandaleuse frivolité et la piquante corruption. Ce préjugé ne serait-il pas encore d’origine germanique ? J’inclinerais pour ma part à le penser,