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engagent un peu la communauté tout entière. L’Américain vit, bien plus que le Français, dans le moment présent et pour le moment présent. Le Français, dans sa vie de famille, a le sens de la durée ; il est un anneau d’une chaîne ininterrompue, et la solidarité des générations successives lui demeure toujours présente.

Que cette conception puisse avoir ses inconvéniens et ses étroitesses, c’est ce qui est l’évidence même. Que les enfans, en France, restent un peu trop éternellement enfans en face de leurs parens, qu’ils soient un peu trop « couvés » par eux ; que, parfois, certaines de leurs qualités d’initiative s’émoussent au contact des timidités maternelles, ou même paternelles, c’est ce que M. Barrett Wendell se garderait bien de nier, et il cite des faits qui prouvent qu’il a fort bien vu le revers de la médaille. Mais il est beaucoup plus frappé des bons que des mauvais côtés de la tradition française en cette matière, et il a très vivement senti tout ce qui fait à la fois le charme et la force du lien familial dans notre pays. Il l’a si bien senti qu’il a pris contre ses propres compatriotes mal informés la défense de nos habitudes nationales, et cela avec une fermeté de bon sens, une délicatesse d’intuition et d’expression tout à fait remarquables. « En Amérique, tout au moins, — déclare-t-il à ce propos, — nous avons une idée malheureusement fausse de la vie française, et nous la traduisons par ce lieu commun, que la langue française ne possède pas l’équivalent de ce mot que nous aimons tendrement : le home. » Et cela peut assurément se soutenir. Mais quoi ! riposte-t-il, les peuples anglo-saxons, de leur côté, « n’ont jamais éprouvé le besoin d’une expression qui contiendrait toute l’affectueuse tendresse de sens incluse, à son tour, dans le mot français : foyer. » Et, s’exaltant là-dessus, en philologue, en philosophe, et en poète, il écrit :

« Le sens premier, originel, du mot foyer, demeure le sens vrai, à travers toute la France, ou au moins la véritable et permanente origine des sentimens qu’il enferme maintenant, de manière si abondante. C’est la cheminée, la pierre du foyer, — le centre de la vie domestique, autour duquel la famille se groupe, formant un tout, distinct de tout autre groupe, dans ce monde confus et bruyant, complet en chacun, et qui vous libère, lorsqu’on y réside, de tout le reste de l’humanité.

« Le sens littéral du mot, sans aucun doute, est depuis long-