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de la légende : « Mais ce ne sont pas des Français !, » s’écria-t-elle avec une vivacité dépourvue de toute ironie. O prestige des idées toutes faites ! Elle était, comme tant d’autres, sans s’en douter, la victime et la dupe de la propagande « progermanique. » M. Barrett Wendell a eu, lui, quelque mérite à se rendre à l’évidence des faits.


III

Et il en a eu aussi à découvrir ce que les étrangers ne soupçonnent guère, je veux dire la famille française. Les pages qu’il a écrites sur ce sujet sont parmi les meilleures de son livre, les plus fines, les plus délicates, les plus judicieuses. Dans ce pays de France qu’on avait dû lui représenter comme si profondément corrompu, il a été très agréablement surpris de trouver une vie familiale si intense et d’une si robuste originalité. Ce lien souple et fort qui relie les uns aux autres tous les membres, — et les morts comme les vivans, -— d’une famille française, il n’en avait aucune idée avant de venir en France. Il observe avec finesse qu’en Amérique, le mari et la femme suffisent à peu près à constituer une famille ; en France, il y faut les enfans, et l’amour paternel ou maternel y est presque plus fort que l’amour conjugal. « On en arrive à être tenté de dire que de toutes les affections familiales que l’on rencontre dans le monde, nulle n’est plus profonde, plus sincère, plus fidèle et plus tendre que l’amour qui règne jusqu’à la mort, en France, entre les parens et les enfans. » « Des enfans morts, des années auparavant, étaient encore si vivans dans le cœur de leurs parens, que leur souvenir jetait quelque ombre de mélancolie, lors de la bienvenue de tout nouvel ami, montrant ce qu’elle eût pu être, si tout le monde avait été là pour l’accueillir. »

A leur tour, les enfans rendent en respect, en déférence, ce que leurs parens leur ont donné en tendresse protectrice et vigilante. Leur individualité, si l’on peut ainsi dire, se développe toujours en fonction de la famille. Ce ne sont pas, comme dans les pays anglo-saxons, des individus isolés qui se suffisent à eux-mêmes et n’ont de comptes à rendre à personne. Le choix d’une carrière, un mariage à contracter, sont des questions d’intérêt familial, que l’on débat en famille, et qui