Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attaque avec une vigueur constante qui peut quelquefois étonner un Yankee… Je ne me souviens pas d’avoir jamais vu un jeune Français décortiquer un bâton ; je me demande même si vous pourriez lui faire comprendre le plaisir que l’on peut éprouver à ce jeu. »

Tout ceci est fort bien vu, ce me semble, et l’on est heureux de trouver enfin sous une plume non française cet éloge étonné du sérieux français. Il est entendu qu’il ne faut rien exagérer, et que le sérieux français ne ressemble en aucune manière au sérieux américain, anglais, et surtout allemand : il est moins tendu, moins morose ; il se dissimule davantage ; il se tempère d’urbanité et de grâce, mais il n’en est pas moins réel, et il semble qu’avec un peu d’observation et de finesse, il ne soit pas bien malaisé à découvrir. D’où vient donc qu’on nous ait fait, à l’étranger, une réputation si fâcheusement établie de légèreté foncière et d’incurable frivolité ? Les plaisanteries de nos Gaudissart, les persiflages de nos boulevardiers, les imprudences de quelques-uns de nos écrivains, y sont, je le veux bien, pour quelque chose ; et j’admets encore que la lourdeur et le pharisaïsme germaniques ont été trop souvent offusqués par notre gaieté française, par la grâce souriante et modeste dont nous aimons à recouvrir nos plus solides qualités. Mais ces raisons diverses ne suffisent pas à expliquer la persistance et la diffusion de l’injuste légende. Il y a là, je crois, un cas précis de cette universelle campagne de dénigrement systématique que, depuis de longues années, l’Allemagne a entreprise contre la France et l’esprit français, dénigrement où il entrait un peu de tout : de l’orgueil et de l’inintelligence, de l’hypocrisie et du mercantilisme, de la jalousie et de la rancune, par-dessus tout, le désir effréné de supplanter un peuple qui n’avait jamais été tendre aux Barbares. Le préjugé de la légèreté française a été l’un des premiers articles du Credo pangermaniste.

M. Barrett Wendell n’est pas le seul, mais il est l’un des .rares étrangers qui, avant la guerre, aient battu en brèche ce préjugé dont les Français qui ont vécu hors de France ont tant souffert. Je sais une charmante étrangère, amie de la France, ayant même épousé un Français d’une parfaite gravité, et qui développait volontiers ce thème de la frivolité française. Un jour, on citait devant elle tels ou tels Français authentiques, de sa connaissance, qui ne répondaient en rien au signalement