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Il en est de même de ce que le publiciste américain appelle notre « honnêteté intellectuelle. » Il a été très frappé de ce fait que le bourgeois français a des idées, et qu’il y tient, et que, les croyant vraies, il est toujours prêt à en démontrer le bien fondé, à y ramener, quand elles s’y prêtent, les idées d’autrui, ou à critiquer et condamner ces dernières, quand elles lui paraissent décidément inconciliables. Ces idées sont souvent des préjugés, mais la logique française en fait des assemblages assez cohérens, et la loyauté française veut qu’on y attache quelque importance. Évidemment, sans nous le dire, M. Barrett Wendell a dû parfois sourire de notre intempérance dialectique.

Et il a souri aussi quelquefois, mais sans malice, et bien plutôt avec un sentiment d’admiration, du sérieux et de l’activité qu’il constate à tous les degrés et dans tous les ordres de la bourgeoisie française. C’est peut-être ce qui l’a le plus étonné en France, car, à chaque instant, il revient sur cette impression., Je crois bien que lorsqu’il a quitté l’Amérique, deux idées pour lui étaient de véritables axiomes : la première, que les Français étaient sans contredit le plus aimable des peuples frivoles ; et la seconde, que le seul peuple au monde qui sût ce que c’est que le travail, était le peuple américain. Au bout de peu de temps, il dut convenir qu’il s’était trompé. Nous l’avons émerveillé, presque effrayé par notre sérieux, par notre ardeur au travail. Non pas, certes, que notre gaîté, notre bonne humeur légendaires aient disparu ; mais si nous savons toujours sourire, nous savons encore mieux travailler. Les devoirs les plus absorbans et les plus austères, bien loin de nous rebuter, nous retiennent, et nous nous y livrons corps et âme. « À la surface, peut-être les Français conservent-ils encore quelque chose de cette gaieté qui a fait dire à leur propos aux étrangers qu’ils étaient agréablement frivoles ; mais quand vous commencez à les fréquenter, au moins ceux de la bourgeoisie, cette caractéristique ne demeure pas longtemps saillante. Bien plutôt, vous vous trouvez continuellement surpris que tant de personnes, avec une aussi grande simplicité de cœur, puissent se consacrer avec une pareille assiduité aux devoirs si peu séduisans, — professionnels, domestiques ou autres, — de la vie quotidienne, hebdomadaire, annuelle. Si gai que se montre un ami dans les questions frivoles, vous pouvez être assuré que, au fond, il prend l’existence au sérieux, et que, quand il va au rude labeur, il