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d’artistes ou de financiers cosmopolites ne sauraient leur donner une idée de ces innombrables Français aux mœurs régulières, à l’existence laborieuse, qu’ils coudoient, qu’ils ignorent et qu’ils dédaignent. M. Barrett Wendell, qui partageait sur ce point les préjugés de la plupart de ses compatriotes, a d’abord été quelque peu étonné et déconcerté qu’un grand nombre de ses collègues et amis français ne fissent aucune difficulté à s’avouer de simples bourgeois. Pour lui, bourgeoisie était nécessairement synonyme de vulgarité. Peu à peu il se rendit compte que ces bourgeois tant décriés étaient de véritables gentlemen. Il apprécia à leur vraie valeur les qualités de bon sens, de régularité, de sérieux, de santé morale qui sont de tradition parmi eux. Il admira « la simplicité naturelle de leur caractère, la joyeuse facilité avec laquelle ils acceptent les conditions de leur vie et comment ils s’adaptent à ces conditions, sans l’ombre d’ostentation ou de respect humain. » « Je doute, en vérité, déclare-t-il, que vous puissiez trouver où que ce soit une classe sociale plus solidement, plus profondément, plus sereinement, plus admirablement constituée que ces bourgeois d’aujourd’hui. » Et il conclut « qu’une nation dont le noyau est aussi solide, doit être essentiellement robuste. »

Vous vous rappelez ces pages de la Préface du Disciple, où M. Bourget fait un si juste et si éloquent éloge de notre bourgeoisie française : « Ah ! la brave classe moyenne, la solide et vaillante bourgeoisie que possède encore la France ! Qu’elle a fourni, depuis ces vingt ans, d’officiers laborieux, cette bourgeoisie, d’agens diplomatiques habiles et tenaces, de professeurs excellens, d’artistes intègres I... » A vingt années d’intervalle, les deux témoignages se font directement écho.

Trois traits principaux, aux yeux de M. Barrett Wendell, caractérisent la bourgeoisie française. La simplicité, d’abord, et ce qu’il appelle une « charmante bonhomie » à laquelle il parait avoir été fort sensible. Une complète absence de morgue, une grande affabilité naturelle, un souci constant de ne point se guinder au-dessus de sa condition et de ses moyens, je crois bien que ces habitudes d’esprit et d’âme sont communes à presque tous les Français de la classe moyenne, et comme elles manifestent quelques-unes des dispositions les plus heureuses de la race, je n’ai pas de peine à concevoir qu’elles s’imposent à l’attention de l’étranger, et à sa sympathie.