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autre agrément sur la terre. » Mais il reconnaît que l’entraînement auquel ils se soumettent a l’avantage de multiplier les fortes et originales personnalités. « Ainsi, où que vous alliez en France, dit-il, vous ne pouvez faire autrement que de rencontrer des hommes dont les talens et les qualités, perpétuellement tenus en haleine, seraient partout un sujet d’admiration. Je suis tenté de dire qu’il n’existe pas dans ce pays un seul centre d’enseignement supérieur où un étudiant étranger ne tirerait profit à séjourner une année. » Et il mentionne, à titre d’exemple, un professeur de sanscrit, qui « parmi ses collègues français n’était pas une exception, » et dont l’érudition l’émerveille, et, plus encore, la supériorité d’esprit : « Sous toute sa science, écrit-il, son intelligence était aussi libre que si elle n’avait porté aucun fardeau, et ce qui, pour d’autres, eût vraiment été une charge, semblait plutôt être pour lui un stimulant. » Voilà, certes, un bel éloge du corps enseignant français.

La conclusion de M. Barrett Wendell est curieuse. Comme tous les pays d’Europe, — y compris, hélas ! la France elle-même, — l’Amérique avait longtemps subi le victorieux prestige de la « science allemande. » Mais, plusieurs années avant la guerre, ce prestige commençait à baisser ; on se détachait peu à peu de cette « culture » orgueilleuse et pédantesque dont on n’avait pas encore pu mesurer tous les désastreux effets ; on se rapprochait de nous ; on goûtait de plus en plus notre manière plus libre, plus discrète, plus fine et plus humaine d’entendre l’art, la science et la vie [1]. J’ai, pour ma part, recueilli, à cet égard, de bien précieux aveux. On trouvera sans doute que celui de l’écrivain américain ne manque pas de saveur :

« Plus je fréquentai mes collègues français, — nous dit-il, — plus je fus confirmé dans mon opinion que la science américaine serait très puissamment vivifiée si un plus grand nombre de nos étudians venaient se placer sous l’influence française. L’influence des méthodes allemandes sur l’Amérique, durant les quatre-vingt-dix dernières années, a été admirable, mais peut-être excessive. Elle nous a appris à avoir le respect du fait et nous a donné la méthode dont nos premiers chercheurs manquaient. Mais, en même temps, elle a tendu à encourager la

  1. Voyez, à cet égard, un très intéressant témoignage dans le livre tout récent de M. Rollo Walter Brown, How the French boy learns to write, Introduction, p. 7 (Cambridge, Harvard University Press, in-8, 1916).