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miroir, pour y contempler l’image de notre pays, que celui qu’elle offre à l’observateur attentif.

Ce n’est pas à dire que l’observateur, surtout s’il est étranger, puisse sans précautions se mouvoir dans ce milieu assez complexe qui se présente à son attention. L’Université de France est un organisme très particulier, aux rouages multiples et divers, et qui ne se laisse point saisir d’un rapide coup d’œil. M. Barrett Wendell s’est fort bien avisé de cela : non sans humour, il compare aux cercles de Dante les différens compartimens dont l’assemblage constitue la vie universitaire française, et il ne s’y aventure qu’avec une extrême circonspection, et sous la conduite d’un excellent guide. Grâce à ces scrupules fort méritoires, il a réussi à tracer un tableau assez complet et, en dépit de quelques menues erreurs, généralement exact de notre enseignement, surtout de notre enseignement supérieur.

Ce qui paraît avoir frappé le plus M. Barrett Wendell, chez Les étudians et les professeurs français, c’est, contrairement à un préjugé que nombre d’étrangers partagent, la gravité, la haute conscience qu’ils apportent tous à leurs occupations professionnelles, et, en même temps, la distinction intellectuelle dont ils sont le quotidien témoignage. « Aucune de mes expériences antérieures, — avoue-t-il, — ne m’avait révélé quoi que ce soit de comparable à l’activité intellectuelle, infatigable et concentrée, pleine d’émulation, de mes collègues d’un moment, à Paris. Le préjugé étranger a coutume de considérer les Français comme légers, frivoles et pour le moins superficiels. Quand vous vivez au milieu de leurs hommes de science, mêlé au travail de leurs existences, vous commencez à vous demander où a bien pu se former à leur propos une légende aussi grotesque. Car nul ne saurait imaginer un travail plus assidu que le leur et plus joyeux dans son ardeur. »

Cette ardeur, cette ferveur d’émulation ont sans doute parfois leurs excès ; elles marquent d’un pli peut-être un peu trop professionnel une activité qu’on pouvait souhaiter plus libre, plus désintéressée ; et c’est ce que l’écrivain américain veut, je crois, laisser entendre, quand il reproche à la vie universitaire française de manquer d’ « humanité. » Tout en rendant hommage aux qualités sociales, au tact, à l’agrément de ses collègues, il constate, avec un sourire, que « dans les actes ayant un caractère professionnel, ils sont aussi sérieux que s’il n’existait aucun