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de littérature et d’histoire fort estimés, M. Barrett Wendell a été le premier titulaire, en Sorbonne et dans les autres Universités françaises, de cette chaire qu’a fondée, il y a quelques années, un autre Américain, M. James Hazen Hyde, et qui a, si je puis dire, pour objet d’enseigner en anglais l’Amérique aux Français. Comme il était tout naturel et très tentant, M. Barrett Wendell a voulu profiter de son séjour parmi nous, pour nous étudier et tâcher de nous bien connaître. Et il a consigné les résultats de son enquête dans un livre à la fois très prudent et très franc, qu’on a fort bien fait de traduire en français, et auquel nous pouvons souhaiter une large diffusion dans les pays anglo-saxons. Ceux qui prendront pour guide le consciencieux écrivain ne risqueront pas de se faire de nous une idée trop conventionnelle et trop inexacte.

Car, d’abord, sans peut-être s’en être douté, M. Barrett Wendell a bénéficié d’une chance assez rare. Le poste d’observation auquel, de par ses fonctions mêmes, il s’est trouvé placé, et qu’il a la sagesse, bien américaine, de ne pas quitter volontiers, est l’un des meilleurs que l’on pût choisir pour ce genre d’études. L’Université de France n’est assurément pas toute la France ; elle en représente pourtant assez bien les aspects les plus généraux et les plus profonds. Ajoutons qu’elle est peut-être, — avec l’Armée et avec l’Église, — celui de nos corps sociaux qui s’est, au cours de ce dernier demi-siècle, le moins laissé entamer par les influences, le plus souvent corrosives, qui se sont exercées, dans d’autres milieux, sur les mœurs et les caractères de notre démocratie cosmopolite et niveleuse. Elle a sans doute ses préjugés et ses défauts, et on lui connaît quelques faiblesses. Mais, au total, l’ « arrivisme » y est assez rare ; la politique, — au moins dans l’enseignement secondaire et surtout supérieur, — n’y a pas fait trop de ravages, et la conscience professionnelle s’y est peut-être moins relâchée qu’ailleurs. Par la qualité de son recrutement, par l’esprit qui s’y est généralement perpétué, l’Université symbolise assez exactement l’état moral et les dispositions foncières de la France moyenne, aux diverses époques de son histoire. Et ce n’est pas un mauvais