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l’humanité, que François de Xavier a laissé la plus émouvante image de lui-même. Comme sa pensée se reportait souvent aux îles du More, loin de Goa, loin des Portugais, loin de tout, mais plus près de Dieu, la nôtre y retourne souvent aussi pour le voir serrer sur son cœur les derniers des derniers enfans de la misère humaine.

Si nous en croyons de vieilles gens qui témoignèrent au Procès de canonisation, la fin de son séjour aux Moluques fut assombrie. En quittant Amboine, il prédit que dans tel ou tel village, autour de la forteresse, il y aurait des apostasies. Il ne se trompait point, et, comme le disait un dicton populaire, « les gens d’Aroda furent mauvais pour accomplir la prophétie du saint Père François. » Cependant, le bien qu’il avait fait dans ces îles dura plus longtemps que la domination portugaise ; et les croix qu’il y avait élevées survécurent aux persécutions des Musulmans, aux erreurs et aux crimes des Portugais et de leurs successeurs les Hollandais, qui trouvèrent le moyen d’être plus inhumains, car aussi pillards, mais plus disciplinés dans le pillage, ils étaient dépourvus de la générosité chevaleresque dont les Albuquerque, les Jean de Castro, les Galvano et, en somme, beaucoup d’autres s’étaient montrés capables. Si invraisemblable que cela paraisse, les Hollandais ont rendu aux Portugais le service de les faire regretter, non seulement parce qu’une nouvelle tyrannie adoucit toujours le souvenir de l’ancienne, mais parce qu’en effet les indigènes respiraient mieux sous des maîtres dont la dureté était moins une politique que l’effet des tempéramens individuels et qui, soit qu’ils obéissent à la voix de leurs apôtres ou que leur humeur cédât aux conseils de la volupté, consentaient parfois à les traiter comme leurs semblables. Les races du Midi, par leurs vertus les plus hautes comme par leurs vices les plus avoués, tendent toujours à fraterniser avec les peuples conquis. Les races du Nord, jamais. Les Hollandais n’eurent point de Xavier. Et ils eurent beau s’allier aux Musulmans pour déraciner la foi catholique, un grand nombre de pauvres Moluquois bravèrent les tourmens, afin de demeurer toute l’éternité les enfans du prêtre étranger qu’ils n’avaient vu ou plutôt que leurs parens n’avaient vu qu’une heure.


ANDRE BELLESSORT.