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emportent Dieu sait où. Mais Dieu guidait l’épave et, sur la grève où elle était venue échouer, lui ménageait un port. Il vit François et reconnut son destin. Les yeux de l’apôtre, humides d’une éternelle compassion et brillans d’une éternelle espérance, lui promirent la grande aventure qu’il avait vainement cherchée. Il ne lui en dit rien. Mais, deux ans plus tard, François le retrouvera à Goa ; et ils prendront ensemble le chemin du Japon.

Les Européens d’Amboine ne mirent pas plus fortement à contribution les vertus du missionnaire que ceux de Ternate. A Ternate, on était tout au bout de l’Asie portugaise, et les Portugais s’y corrompaient avec délices. Les Malais ternatins étaient tous possédés de ce que le Père Coyssart, traducteur de Tursellini, appelle une charnalité exorbitante. Il semblait que, hormis les combats, ils n’eussent d’autres fonctions que de se reproduire. Et, comme s’ils avaient jamais été tentés de l’oublier, on dit que des tambours passaient dès la pointe du jour dans les rues des villes et des villages et les réveillaient pour leur rappeler leur raison de vivre. Ils adoraient la parure et les parfums. Les hommes portaient des turbans ornés d’oiseaux de paradis et des chausses de damas éclatantes. Les femmes, aussi camuses que leurs maris, et plus foncées que des coings, entremêlaient leurs longues chevelures de fleurs et d’aigrettes. La chemise de mousseline qui leur descendait jusqu’aux genoux laissait transparaître leurs pantalons de brocart. Elles peignaient leurs paupières et leurs dents limées, et leur haleine embaumait les clous de girofle qu’elles avaient toujours dans la bouche. La nature qui les enveloppait était l’image même de la volupté avec tout ce que la volupté a de violences, de trahisons et de mélancolie. Le cratère du volcan ne cessait de fumer. Les rivières étaient pleines de crocodiles que Galvano nous dépeint azurés et dorés. D’énormes boas donnaient la chasse aux troupes d’oies noires. La chair des écrevisses les plus succulentes vous empoisonnait. L’ombre de la forêt vous rendait malade. La vie y ressemblait à cet arbre singulier que les Portugais nommaient l’arbre triste. Il se couvrait la nuit de fleurs odorantes ; mais, au lever du soleil, elles tombaient et ses branches languissaient.

Depuis le départ de Galvano, les conquérans s’en étaient donné à cœur joie. La Reine, à qui le capitan laissait encore quelques-unes de ses pierreries et son parasol royal, ne comptait