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n’étaient point musulmans, n’adoraient point d’idoles et se contentaient de saluer pieusement le lever du soleil. Et il interrogeait anxieusement l’horizon. Depuis bientôt un an, un prêtre de Malaca, Vincent Viegas, était parti, avec une troupe de soldats, pour Macassar où naguère un marchand portugais avait baptisé deux princes. La cérémonie avait sans doute ressemblé à celle que nous raconte Pigafetta, le compagnon de Magellan, lorsque son capitaine baptisa le roi de Zébu. On dressa une estrade sur la place et on y planta une croix. Le Roi y monta. Il n’était vêtu que d’un pagne de coton et de ses tatouages peints ; mais il portait au cou et aux oreilles de l’or et des pierres précieuses. On l’habilla tout de blanc ; on lui versa l’eau du baptême ; et le capitaine lui assura que, parmi les avantages dont il allait jouir, il aurait celui de vaincre plus facilement ses ennemis. On ne pouvait fonder grand espoir sur de pareilles conversions. Pourtant les Portugais retrouvèrent leurs princes aussi chrétiens que le marchand les avait laissés. Et tout eût été pour le mieux si, au départ des bateaux, un des princes n’avait constaté qu’une de ses filles lui manquait. La jeune princesse s’était fait enlever par un officier portugais et refusait énergiquement de retourner à terre. On n’eut que le temps de démarrer. A cette nouvelle, François changea de projet et décida d’aller plus loin que Macassar, jusqu’aux Moluques, aux îles des Epices, où, les uns venant avec le soleil, les autres venant du couchant, Espagnols et Portugais s’étaient rencontrés vingt-quatre ans plus tôt et avaient scellé dans la colère et le meurtre le fermoir de la chaîne de rapines dont ils enserraient le monde.

Il quitta Malaca le 1er janvier 1546. Jusqu’en mai 1547, il voyagea d’une île à l’autre dans un archipel où l’on ne naviguait que de jour, et encore la sonde à la main. Il descendit le détroit, longea Sumatra et Java, dont l’haleine des bois de senteur se répandait le soir dans les petits havres obscurs, et, laissant à gauche Macassar et les Célèbes, il remonta vers le Nord au milieu de toutes ces îles dispersées sur la mer comme une troupe d’oiseaux après une tempête et que Camoëns appellera bientôt « les nobles filles de l’Océan. » On ne saurait trop admirer le prestige des terres qui produisent les aromates et les ingrédiens de nos sauces. Il n’y a vraiment de nobles terres que celles qui supportent dans la pierre ou dans le