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la tête : « Vous avez péché, Juan de Eyro. » — « C’est vrai, » répondit-il, penaud et le dos rond. Et François reprit : » Confession ! Confession ! » Juan entra, se confessa et, le soir même, il vendait son navire et distribuait aux pauvres ses derniers perdaos. Il le suivit à Malaca. Mais le diable le tenait encore par un petit bout de son manteau. Dans cette cité, où les tentations foisonnaient, il accepta une aumône qui lui permit d’y succomber ; et François l’envoya faire pénitence sur l’îlot des Navires, un îlot verdoyant à quelques brasses du rivage. La Vierge et Jésus lui apparurent. Jésus l’attirait vers sa mère ; mais la Vierge le repoussait ; et Juan comprenait très bien pourquoi. D’ailleurs, elle le lui dit. Quand il revint et se confessa, il passa sous silence cette apparition. Tout à coup François le regarda : « Que vous est-il arrivé dans l’île, Juan de Eyro ? » Et, comme Juan feignait l’ignorance, le Père l’étonna pour tout de bon, en lui rappelant ce qu’il avait vu dans l’îlot des Navires par les yeux de l’âme ou par les yeux de la chair, car Juan n’avait point su s’il était endormi ou éveillé.

Nous pourrions détacher du procès de canonisation bien des témoignages du même ordre et aussi d’un ordre plus élevé, comme les prédictions, les exorcismes, les guérisons subites. Mais nous essayons de saisir avant tout la physionomie particulière de François de Xavier. Quand il essuie l’écume des lèvres d’un possédé, quand la santé des malades renaît sous l’imposition de ses mains, quand il réveille une jeune fille ou un enfant qu’on allait coucher parmi les morts, quand il prophétise les malheurs de cette ville sourde à la voix de son prophète, sa voix et ses gestes se confondent avec la voix et les gestes de tous ceux à qui Dieu départit les effluves de sa grâce et prêta le pouvoir de percer un instant les ténèbres du futur. Dans ces minutes sublimes où Dieu agit en lui et par lui, il devient en quelque sorte impersonnel. Et il en est de ses miracles comme de tous les miracles dont l’efficacité se limite au petit groupe qui les voit et les touche. Ils n’ont jamais l’effet décisif qu’il semblerait qu’on dût en attendre. Ils ne confèrent même pas au thaumaturge un ascendant durable : ils ne lui donnent qu’une vogue qui s’affaiblit en se prolongeant. Les hommes les réclament avec la même avidité qu’ils souhaitent les fortunes soudaines, la science sans apprentissage, le succès sans labeur, les profits de la gloire sans ses