Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 33.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réciter les matines, bien que toutes les portes fussent fermées, la clef en dehors. Surpris, effrayé, il était rentré dans sa chambre. « Il dit cela sans s’y arrêter, ajoute le vicaire, et il n’en parla plus. » On pense si Sa Révérence triomphait ! Et comme elle avait l’esprit un peu lourd, le soir, en se levant de table, elle clignait de l’œil et répétait les mots que le Malabar avait retenus : « Notre-Dame, ne viendrez-vous pas à mon aide ? » François souriait et se taisait ; mais il rougissait. Il rougit aussi à Goa, un jour qu’à son insu on lui avait remplacé sa soutane en lambeaux par une soutane neuve et que, l’ayant mise sans la voir, il en reçut de grands complimens. Il rougit quand Diogo de Borba, un autre jour, lui demanda si vraiment il avait ressuscité un mort. Il rougit à en devenir écarlate et il se mit à rire. On aime sur ce visage émacié ces rougeurs juvéniles. Il n’a jamais reparlé de ses nuits de Meliapor. Les tentations qui suivent les saints attendent qu’ils arrivent très las à l’étape et tombent au pied d’un arbre pour les assaillir. Dans l’enclos de Saint-Thomas, où ses fatigues demandaient une trêve, il fut assailli de prestiges. Que Notre-Dame le secourut, son sourire et sa rougeur le prouvent. « Le reste est silence. »


VII. — EN MALAISIE

Il s’embarqua en septembre 1545 pour Malaca. Il ne devait revenir dans l’Inde que trois ans et demi plus tard. Tout ce temps, il le passa à Malaca et aux iles Moluques. Ce n’est pas la période la plus fameuse de sa vie ; c’en est la plus pittoresque et la plus aimable. Il n’y commettra point d’erreurs. Il ne sera pas exposé aux tracasseries du gouvernement portugais : la longueur même des liens qui rattachaient ces établissemens lointains à la métropole de Goa les rendait bien légers et presque insensibles. Il sera son maître, c’est-à-dire le serviteur infatigable de l’Église et de Dieu. Et il aura moins à souffrir de son inexpérience des mœurs et de la langue, car son apostolat ne s’adressera guère qu’aux Portugais et aux sauvages. Donnez-lui un bateau portugais où les matelots sacrent comme des diables et où les marchands jouent aux cartes leurs femmes esclaves ; donnez-lui une petite ville portugaise qui soit un enfer pour les honnêtes gens et un éden pour les autres, dont chaque maison, par ses fenêtres mi-closes, laisse filtrer sur la