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images de sa jeunesse lui remontaient à la mémoire. Il racontait au Père Coelho son arrivée à Paris, ses années de Sainte-Barbe, les dangers de l’esprit et de la chair qu’il avait évités ; et le Père Coelho était tout oreilles.

Il y eut certainement une relation intime entre ces confidences dont François se montrait aussi avare que le sont les hommes qui excellent à confesser les autres, et quelques incidens mystérieux dont s’étonna le vicaire. Le presbytère n’était séparé que par un jardin de la chapelle de Saint-Thomas ; et, tout près de cette chapelle, dans le même enclos, se trouvait un réduit où l’on déposait la cire à brûler devant l’autel de la Vierge. François s’y rendait la nuit pour prier et pour se livrer à ses macérations. Le Père Coelho comprenait d’autant moins ce goût-là qu’il n’était pas homme à se mortifier au lieu de dormir et que, fort superstitieux, il croyait, on ne sait pourquoi, que les diables hantaient l’enclos de Saint-Thomas. Quand il s’aperçut des sorties nocturnes de François : « Maître François, lui dit-il, n’allez pas seul en cet endroit ; c’est un nid de diables ; ils vous battront. » François sourit, et, dorénavant, pour tranquilliser son hôte, il emmena son Malabar, qui s’étendait au seuil du réduit et ne tardait pas à ronfler. Or, une nuit, le Malabar fut réveillé par la voix de son maître qui criait : « Notre-Dame, ne viendrez-vous pas à mon aide ? » Et ces cris étaient accompagnés d’un bruit de coups. Mais le Malabar, homme prudent, n’eut garde de bouger et ne s’inquiéta pas de savoir d’où venaient des coups qui ne tombaient pas sur lui. Le lendemain, François n’était pas à matines, et de deux jours il ne put quitter son lit. Le Malabar confia ce qu’il avait entendu au Père Coelho, qui dit au malade : « Ne vous avais-je pas recommandé de ne point aller à Saint-Thomas la nuit ? » Mais François sourit et ne répondit rien. Il avait la pudeur de ses austérités. Ce n’étaient point les diables qui l’avaient flagellé, ni contre les diables qu’il appelait Notre-Dame à son secours. Honnête Gaspard Coelho, tous les diables de l’Inde diabolique lui étaient moins redoutables que les souvenirs dont il avait distrait votre veille avant de traverser d’un pas furtif les allées de votre jardin.

Un soir pourtant, un samedi soir, François lui dit : « Votre Révérence sait-elle ce qui m’est arrivé la nuit dernière ? » Et il lui conta qu’il était allé à la chapelle et qu’il y avait entendu