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la poésie préfère les simples lignes du vieux voyageur vénitien : « Un jour qu’il était hors de son hermitage, dans le bois, et qu’il faisait ses prières à son Seigneur Dieu, comme il avait autour de lui beaucoup de paons qui sont très communs en ce pays, il arriva qu’un idolâtre, ne voyant pas le saint, lança une flèche de son arc pour tuer un des paons qui se trouvaient là. Mais au lieu d’atteindre le paon, il frappa au côté droit saint Thomas qui aussitôt adora très doucement son Créateur et mourut. » Ce saint en prières au milieu des oiseaux magnifiques qui, dit-on, donnèrent son nom à Meliapor, cette blessure au côté qui en rappelle une autre, mitte manum tuam in latus meum, et cette très douce et rapide agonie ont une beauté qui nous repose des barbaries de l’Inde. Mais François vit trop dans le présent et dans l’avenir pour se plaire à ces évocations. Il ne nous parle même pas de la pierre ensanglantée par la mort de l’apôtre, et qui, durant la fête de son martyre, pendant qu’on chantait la messe, rougissait peu à peu et suait des gouttes de sang. Le Père du Jarric l’a vue, lui, du fond de son collège de Toulouse.

Il demeura trois mois à San Tome de Meliapor chez le vicaire Gaspard Coelho. Les Portugais n’étaient pas nombreux ; mais les délices et les voluptés, les rancunes et les inimitiés, les usures et les contrats iniques y avaient la même vogue que dans les autres lieux de l’Inde. « Il n’y a de bon ici que le corps de saint Thomas, » disait Polanco. Le passage de François assainit la petite ville. « Les folles amours qu’on ne pouvait dissoudre, il les accoupla et joignit par le sacrement de mariage. » Il réconcilia les gens ; il les amena à des restitutions qui les enrichissaient à leurs propres yeux ; il remit leur conscience à neuf. Le Père Coelho s’émerveillait que, dans les moindres détails de sa vie, on prit ainsi modèle sur les saints apôtres. Le brave homme n’était point habitué aux entretiens spirituels. Le cours des épices, les brouilles entre les ménages, la chronique scandaleuse de la colonie défrayaient d’ordinaire ses conversations. Il se sentit transporté dans un autre monde en écoutant son commensal. François ne parlait que des choses divines, et avec la familiarité charmante, je dirais presque socratique, d’un homme qui se meut naturellement en elles. Mais parfois, le soir, quand les étoiles versaient sur la véranda une lumière qui semblait une fraîcheur, les