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parlé de Malaca, où les âmes languissaient, faute de secours spirituels et, plus loin, d’un nouvel Orient qui se lèverait à la parole du Christ. Sur la foi de ces on-dit, les hommes le mèneraient au bout du monde. Il y sera bientôt. Mais Lisbonne lui a annoncé des missionnaires. Ne devrait-il pas retourner à Goa pour les recevoir ? Personne n’a laissé plus de latitude que lui à l’initiative individuelle. Il dirige de haut et de loin. Système peut-être excellent lorsque la mission est fondée ; très contestable dans le cas présent. Les nouveaux débarqués ne le verront pas, ne profiteront pas de son expérience dans des entretiens que rien ne remplace. Ils trouveront un ordre, sans plus. Jean de Beira et Antoine Criminale ne sauront qu’une chose en arrivant : qu’ils doivent accompagner les princes Cinghalais, lorsque ces princes repartiront pour Ceylan ; plus tard, un ordre leur parviendra de se rendre à la Pêcherie. « Mansilhas connaît le pays et leur indiquera comment il faut procéder. » Autant dire que François les remet à la grâce de Dieu. Il ne se soucie ni de leurs aptitudes, ni de leurs forces. On les jugera à l’œuvre. Pour lui, il s’en va. Il a besoin de rentrer en lui-même, de s’isoler avec son âme blessée. Le tombeau, où l’on croit que saint Thomas repose, près de Meliapor, à mi-chemin du cap Comorin et du Bengale, l’attire invinciblement. Il s’embarqua de Nagapatam, le dimanche de la Passion. Mais la tempête le força de rebrousser chemin. Quelques jours après, accompagné d’un domestique malabar, il partait à pied. Il remonta la côte de Coromandel et atteignit la ville de Meliapor.

« Contemple un moment cette terre : elle a reçu la dépouille mortelle de l’apôtre dont la main toucha les blessures d’un Dieu. Là s’élevait jadis, à quelque distance de la mer, une cité florissante. Charmés de sa beauté, les peuples l’appelaient Meliapor. » C’est ainsi que commence l’épisode où Camoëns nous raconte la mort de saint Thomas. Les ruines de l’ancienne ville dormaient sous les eaux. Mais une petite cité hindoue s’était reformée, et les Portugais en bâtissaient une autre. L’église et le tombeau étaient construits sur une colline basse et rocailleuse. Marco Polo nous dit qu’on y venait en pèlerinage, et les Sarrasins eux-mêmes qui tenaient saint Thomas pour un compatriote. On ne s’accordait point sur la manière dont le saint avait perdu la vie. Camoëns a choisi la légende dramatique d’une atroce vengeance des Brahmes ; mais