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châtier le coupable ; on le tuerait, on donnerait le royaume à son frère, s’il tenait sa promesse. François ne demandait pas la mort du rajah, et le Vice-Roi consentit à remettre entre ses mains le sort du vaincu. Je n’ai pas plus de confiance dans la colère de Sousa que dans les promesses d’un rajah. On accorde tout à François pour qu’il s’éloigne au plus vite. On ne lui parle pas des difficultés où cette expédition engagerait les Portugais si, en secondant l’ambition du frère de l’assassin, ils s’aliénaient le roi de Cotta et ses chrétiens de fils. Dès qu’il a le dos tourné, on reprend le jeu des intrigues qu’il avait un instant interrompu. Détrôner le roi de Jafnapatam, soit ; mais quel successeur lui choisir ? On soumettra d’abord le litige au roi de Portugal. Le roi de Cotta promettait un surplus de quatre cents quintaux de cannelle. Le frère du meurtrier jurait maintenant que toute sa cour embrasserait le christianisme avec lui. On réfléchissait devant ces surenchères. On ne réfléchit plus quand un vaisseau portugais vint donner contre la côte de Ceylan et y décharger pêle-mêle une très riche cargaison. Le roi de Jafnapatam la déclara de bonne prise et s’empara du naufrage. Désormais, le persécuteur des chrétiens pouvait dormir tranquille sur sa magnifique épave. Il tenait en respect les forces militaires du roi de Portugal. Les marchandises portugaises paieraient la rançon de son insolence et de ses tueries..

Cependant François, confiant, était retourné à Cochin. Il en repartait bientôt, touchait peut-être à Colombo et à Manar, où sévissait la peste, et débarquait à Nagapatam. Il espérait y trouver une flotte sous les armes prête à venger les martyrs. Il n’y rencontra que des gens qui le regardaient de travers et un capitan qui détournait la tête. Les Portugais voulaient bien favoriser la propagande religieuse, mais à la condition que l’intérêt de l’Eglise ne s’opposât pas à leurs intérêts commerciaux. Ils étaient heureux qu’elle étendit leur clientèle, mais ils n’admettaient pas qu’elle entravât leurs opérations. Un rajah, qui détenait la cargaison d’un navire, devenait un personnage sacré. Il était plus urgent de sauver des sacs de cannelle et de poivre que de punir le meurtrier de six cents pauvres êtres qui avaient eu le tort de croire en leur Dieu. François fut révolté.

C’était un précédent déplorable ; et c’était aussi une défaite personnelle, et l’avertissement de ne plus avoir à se mêler de la politique portugaise. Il avait hâte de s’éloigner. On lui avait