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arrivèrent à Goa, soit qu’ils se fussent enfuis ou que leur père les y eût envoyés, cousus d’or, pour maquignonner avec les Portugais une expédition contre le royaume de Jafnapatam. Tous deux allaient bientôt mourir de la petite vérole. Mais avant, l’affaire de Manar éclata.

Le roi de Jafnapatam succédait à son maître qu’il avait assassiné, et son frère aîné estimait qu’en sa qualité d’aîné le bénéfice de cet assassinat devait lui revenir. De la pointe septentrionale de Ceylan, où il résidait, le sauvage rajah commandait l’archipel et surveillait avec des yeux de naufrageur les îlots et les récifs qui, entre l’île et le continent, forment le pont de Rama. Ses sujets cinghalais l’exécraient. Ceux de l’îlot de Manar, ayant eu vent de l’arrivée de François chez les Paravers, envièrent un Dieu qui les délivrerait de leur tyran. Ils lui firent savoir qu’eux aussi désiraient être chrétiens, et François leur dépêcha un prêtre indigène qui cueillit leurs conversions. Le roi de Jafnapatam connaissait les Portugais et particulièrement le capitan installé en face de lui, de l’autre côté du détroit, dans la petite ville de Nagapatam. Ils étaient en relations d’affaires et de bonnes affaires. Mais, s’il avait à cœur de se réserver les avantages de cette connaissance, il n’entendait point que ses sujets se missent sous une autre autorité que la sienne. En janvier 1545, les six cents convertis étaient massacrés, et leur prêtre avec eux. Dans l’alternative de renoncer à leur foi ou d’être égorgés, ils préférèrent se dérober pour toujours aux fantaisies de leur rajah. Le frère aîné du meurtrier se dit que ce massacre pouvait lui ouvrir le chemin du trône. Il se dirigea vers Goa, et, à Cochin, il eut une entrevue avec François. Il lui promit de se faire chrétien, si les Portugais lui donnaient la couronne. François eut la faiblesse de le croire. Ces grands fourbes hindous, si beaux, si souples, si naturellement majestueux dans leurs vêtemens éclatans, lui en imposaient encore. Il ignorait que les fils du roi de Cotta, déjà chrétiens, et de la famille du prince assassiné, avaient des droits plus valables à cette couronne. Le sang versé à Manar lui parut une rosée sur une terre aride : avant deux ans, l’île de Ceylan serait chrétienne. Il se jeta dans un petit bateau qui courut sur les vagues jusqu’à Goa. Le Vice-Roi entendit de sa bouche la nouvelle du massacre. Il entra dans une sainte colère. Tout fut décidé en un instant : on irait