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centre surchauffé de convoitises et de bon plaisir, ces garanties ne tarderaient pas à être foulées aux pieds. François fut mal inspiré. Pendant toute cette période, ses idées et ses travaux de missionnaire se ressentent d’un état de fièvre que justifient la vie qu’il mène et les ennuis qui l’assiègent.

Nous arrivons au plus cruel, à celui qui le rassasia d’amertume et le décida à s’éloigner. L’ile de Ceylan a toujours eu le privilège d’exciter l’imagination des hommes. François ignorait certainement qu’elle était sacrée aux yeux des Hindous dont le prince Rama, avant d’être dieu, était venu y rechercher sa femme, la princesse Sita ; sacrée aux yeux des Bouddhistes comme la terre que les pas de Gautama avaient trois fois sanctifiée et où son culte, chassé de l’Inde, avait trouvé des autels ; sacrée aux yeux des Musulmans qui croyaient qu’Adam et Eve s’y consolèrent du paradis perdu. Mais, s’il l’avait su, il n’en eût été que plus ardent à y souhaiter le triomphe de la Croix.

Les Portugais y avaient mis le pied dès 1518. Les indigènes de Colombo avaient vu débarquer ces êtres bottés et coiffés de fer, dont le pain qu’ils mangeaient leur parut une pierre blanche et le vin qu’ils buvaient du sang. L’île paradisiaque, envahie par les Tamouls, était alors morcelée en petites principautés qui se dévoraient. Le roi de Cotta voulait mal de mort à celui de Kandy ; le roi de Jafnapatam à celui de Cotta. Chacun d’eux aspirait à la souveraineté de l’île entière ; et leurs luttes se compliquaient des hostilités entre Musulmans, Tamouls et Cinghalais. La situation était favorable aux Européens, et les tripotages commencèrent. Les Portugais construisirent un fortin à Colombo, et des Franciscains se répandirent sur la côte. Au moment où nous sommes, le roi de Cotta, qui avait acheté l’appui du gouvernement de Goa, voulait assurer sa succession à son petit-fils et donner à deux de ses fils les royaumes de Kandy et de Jafnapatam. Mais ce roi venait de faire assassiner son fils aîné parce qu’il avait reçu le baptême ; et, aux grandes funérailles qu’il avait ordonnées pour dissimuler son crime, la terre, parait-il, avait tremblé et s’était fendue en forme de croix. Ce ne sont pas les prodiges qui me semblent incroyables, c’est que le roi de Cotta ait tué son fils à cause de sa foi chrétienne, dans un temps où il avait besoin des armes portugaises ; mais peut-être ce fils avait-il prémédité de le tuer, ce qui serait vraisemblable. En tout cas, ses deux autres fils, également chrétiens,