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qu’il visite : « Dans un royaume où je réside... En un autre pays, à cinquante lieues... En un autre royaume, à quarante lieues... Dans un autre pays, à cinq cents lieues... » Veut-il produire par le vague même qu’il laisse dans l’esprit une impression d’immensité ? Il était difficile, en le lisant, de ramener à des proportions exactes le travail qu’il accomplissait dans deux cantons du Sud de l’Inde. Et, comme il ne parlait pas des conditions politiques où se trouvaient les tribus converties, il augmentait encore l’effet que produisaient les nouvelles de son apostolat. Les mots de peuple, de princes, de rois, évoquaient des États pareils à ceux de l’Europe. Les villages de paillotes se transformaient dans les imaginations en villes magnifiques ; leurs habitans en hommes éclairés, ou qui ne voulaient pas l’être, et qui savaient pourquoi : « Les païens, qui connaissent la vérité et qui refusent de la suivre, demeurent saisis d’admiration devant l’exposé de la loi chrétienne ; et ils rougissent de vivre comme ceux qui ignoreraient l’existence même de Dieu. » Les élèves de Coïmbre entendaient cette lecture et frémissaient d’enthousiasme. Que l’Inde se faisait aimable pour les recevoir ! « Ceux qui viendront ici accroître le nombre des fidèles y trouveront toutes les faveurs et tout l’appui nécessaires. Les Portugais de ces contrées y pourvoiront autant qu’il faudra et réserveront aux nouveaux arrivans un accueil plein d’amour et de charité. » Ce sont là de bien fausses couleurs. Mais sa lettre, destinée à la publicité, tendait seulement à déterminer vers ces pays déshérités un courant de sympathie qui y portât des apôtres. D’ailleurs, ces apôtres, exposés à tant de déceptions, ne partiraient que choisis par les supérieurs qui les sentiraient capables de les surmonter. Et les supérieurs étaient avertis.

Cette lettre de François était accompagnée de deux autres lettres, l’une à Ignace, la seconde à Rodriguez. François suppliait Ignace de lui envoyer le plus d’ouvriers possible. En avez-vous qui n’aient le talent requis ni pour prêcher ni pour confesser ni pour remplir les ministères de la Compagnie ? Vite, embarquez-les. « Dans ces pays d’Infidèles, la science n’est pas nécessaire ! » Ce qui l’est, ce sont les forces corporelles et la vertu. Il faut au missionnaire une âme que nul péril de mort ne déconcerte. Mais ceux qui, sans avoir tant de force morale, ont la force physique, peuvent encore venir. On leur trouvera des contrées où ils ne risqueront rien. Quant à