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leur servirait désormais de sauf-conduit. Et la faveur dont l’étranger semblait jouir près du prince les affranchissait de toute inquiétude. François leur fit valoir ces avantages matériels qu’ils comprenaient beaucoup mieux que les spirituels. On le lui a reproché. Nous sommes devenus si chatouilleux sur les procédés de conversion ! Et surtout, ceux qui se sont détachés de la religion ont tellement peur qu’elle n’altère sa pureté ! Ils craignent toujours qu’elle ne marche sur la terre et crient au scandale quand sur ses chemins escarpés elle s’accroche aux intérêts humains. Mais ces mêmes hommes, dès qu’il s’agit du triomphe de leur philosophie politique, n’hésitent point à suborner l’électeur et à lui promettre le paradis dans ce monde et des bureaux de tabac dans l’autre. Et ils sont moins désintéressés que François, qui éprouvait autant d’allégresse à tracer le signe rédempteur sur le front des petits enfans voués a la mort, — car la mortalité infantile est terrible dans l’Inde — qu’un médecin en eût ressenti à les immuniser contre les pires maladies. Nous élèverions des statues à ce médecin-là !

L’évangélisation sommaire du Travancore est une des pages, sinon les plus glorieuses, du moins les plus surprenantes de l’apostolat de François. Ni la bienveillance du rajah, ni « la pression officielle » d’un capitan, ne parviennent à en expliquer le succès. D’autres que lui ont usé des mêmes moyens. Dans l’Inde, en Chine, en Corée, les pasteurs américains ont semé l’or, les remèdes, les promesses ; aucun d’eux pourtant n’a fait en trente ans ce que François fit en trente jours. Ils étaient riches, bien vêtus, bien logés ; ils voyageaient à cheval ou dans de belles voitures ; ils avaient derrière eux un gouvernement autrement imposant que celui du Portugal ; personne n’eût osé toucher à un cheveu de leur tête. Mais lui, seul, marchant sur ses pieds las, les traits tirés par le jeûne, à la merci d’un insolent ou d’un brutal, avec quelques phrases péniblement apprises, il étonnait, entraînait des milliers d’êtres qui pouvaient croire que c’était leur intérêt de le suivre, et qui vraiment obéissaient à la grâce dont la lumière emplissait ses yeux.

Du reste, il ne s’abusait pas sur le caractère éphémère d’une victoire qui n’aurait de lendemains que si l’Europe lui envoyait des missionnaires. Sa lettre de janvier 1545 aux Pères de Rome n’est qu’un long appel. Il y rapporte ses succès du Travancore sans désigner le nom du pays. Il nomme rarement les contrées