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quelle ville du Sud il le rencontra. Le rajah lui accorda, avec l’ostentation coutumière des roitelets orientaux, l’autorisation d’exercer son ministère apostolique. Cela ne lui coûtait rien, et il comptait en retirer, du côté portugais, des avantages matériels. Mais le rajah s’exagérait le don d’ubiquité de la flotte portugaise et de la poignée de soldats qu’elle débarquait de temps à autre le long des côtes ; et François s’exagérait le pouvoir du rajah. Les Naïrs étaient inaccessibles à l’évangélisation ; et les Brahmes ne voyaient aucun inconvénient à ce que le prince, dont ils formaient le conseil, abandonnât au prêtre étranger des gens qui n’étaient que leurs esclaves, les Macuas, pêcheurs comme les Paravers, plus grossiers, et beaucoup plus voleurs.

Pendant un mois, François, précédé d’un édit tambouriné du prince, parcourut, de village en village, ces rivages humides et chauds, couverts d’une végétation dont l’ombre et les arômes tombent sur les épaules comme une chape de plomb. Revêtu d’un surplis, mais la soutane en lambeaux, il réunissait autour de lui les hommes et les enfans, leur apprenait à se signer, leur récitait et leur expliquait les prières, et, quand ils avaient dit : « Je crois, » les baptisait. Les hommes, rentrés chez eux, lui envoyaient leurs femmes et leurs filles. Puis on détruisait les huttes d’idoles et les idoles elles-mêmes. Le mois n’était pas écoulé qu’il avait baptisé environ dix mille personnes. Pêche miraculeuse, mais où les gros poissons n’étaient pas pris. Ces conversions en masse n’ont d’importance sociale que si elles englobent les classes dirigeantes. Ce n’était point le cas ; et cent Brahmes convertis eussent plus fait pour la christianisation de l’Inde que cent mille Macuas. Il est vrai qu’au regard de Dieu l’âme d’un Macua a le même prix que celle d’un rajah, le rajah eût-il séjourné une année tout entière dans le ventre d’une vache d’or. Encore faut-il que cette âme aille à la foi nouvelle, je ne dis pas en toute connaissance de cause, mais seulement avec candeur. Ce n’était pas le cas non plus. Au Nord du Travancore et à moitié route de Cochin, les Portugais possédaient à Coulam un fortin dont le capitan était en situation de gêner les Macuas dans leurs pêches et les avait déjà plus d’une fois punis de s’être alliés aux Musulmans de Calicut. La plupart virent dans leur adhésion aux rites du Frangui une formalité qui les mettrait à l’abri des rigueurs du Portugais. Le petit bulletin où l’on inscrivait leur nom de baptême