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parmi les Chrétiens blessèrent et irritèrent François. Il a vu de près la pusillanimité et l’inconstance des Hindous ; il a senti la nécessité d’être sévère à leur égard. De temps en temps aussi, l’ancien « féodal » se réveille dans l’apôtre. Je relève ce mot d’un de ses courts billets à Mansilhas : « Je ne veux pas du tout que des gens si désobéissans ou, pour mieux dire, des Chrétiens renégats jouissent des fruits de notre mer. » De notre mer ! Mais à qui appartenait-elle, cette mer ? Au Portugal ou à ces pêcheurs qu’il prétendait exclure de la pêche des perles, parce qu’ils avaient abandonné une foi dont ils n’avaient encore qu’une imparfaite connaissance ? Si même le châtiment n’était point excessif, l’expression nous paraît fâcheuse, comme d’un conquérant plutôt que d’un missionnaire. Seulement ce missionnaire est excédé. Ses nerfs le trahissent. Il écrira, quelques lignes plus bas : « Je suis si ennuyé de vivre qu’il me semble meilleur de mourir pour la défense de notre Loi et Foi. » Une occasion se présenta qui lui permettait d’espérer peut-être cette mort dont sa lassitude lui donnait le goût.

Le roi de Travancore, dont l’influence avait contribué à pacifier la côte et à calmer les Badages, l’invitait à venir dans ses Etats. Ce rajah sortait de la caste des Naïrs très répandue à Calicut et sur le rivage occidental. On y pratiquait la polyandrie. Chaque femme y pouvait avoir trois maris qui, tous trois, nous rapporte Pyrard, s’entendaient pour la nourrir, elle et ses enfans. Quand elle mourait, on ne nous dit point que ses trois maris étaient brûlés avec elle. La polyandrie l’emportait donc en humanité sur la polygamie. Mais je crois que le rajah était polygame, car, à son avènement, on le consacrait Brahme, et d’une manière fort originale. On fondait une vache en or. Il y entrait ; et, quand il en sortait avec sa toque en drap d’or, ses colliers d’or, son écharpe d’or, son large pantalon rouge brodé d’or, ce veau d’or était presque aussi brahme que les Brahmes issus, comme on le sait, de la bouche de Brahma. Il n’en était pas moins un pauvre petit prince qui tremblait devant ses grands vassaux et qui aurait bien voulu les mettre à la raison. Il pensa que l’appui des Portugais ne lui serait point inutile et manifesta le désir de voir l’homme dont la réputation faisait du bruit sur la côte des Paravers. Malgré les avis qu’il reçut de ne point voyager par terre, et à travers bien des dangers, François se rendit à son invitation. Nous ignorons dans