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tenir tranquille en présence du mal, le Sauveur s’est armé d’un faisceau de cordes et a chassé du Temple tous les trafiquans. C’est uniquement le bien qui doit être la fin de nos actions humaines, et la paix n’est jamais qu’un moyen en vue de cette fin, et il y a des cas où ce n’est point la paix, mais la guerre, qui se trouve être le « moyen » convenable en vue de cette « fin. » Le triomphe du bien réussit toujours, tôt ou tard, à ramener la paix : mais il s’en faut que la paix ait pour suite nécessaire d’amener, ici-bas, le triomphe du bien.


Objectera-t-on à cela, — comme le font volontiers les « mauvais Américains, » — que toute guerre est expressément condamnée par la doctrine du Christ ? M. Roosevelt aurait trop beau jeu à répondre en citant maintes paroles de l’Évangile qui, non moins que déjà l’histoire des marchands du Temple, réfuteraient une telle interprétation « pacifiste » de la sainte doctrine. Mais le fait est qu’en réalité, suivant lui, l’Évangile ne touche pas une seule fois au problème de la guerre, tel qu’il se présente aujourd’hui devant nous. « Les préceptes divins sur lesquels on prétend se fonder ne s’appliquent pas à la naissance d’un conflit entre deux nations, mais simplement à des questions morales d’ordre individuel. » Et encore que l’on ne puisse s’empêcher de tenir pour erroné, par exemple, un « pacifisme » tel que celui de certains « tolstoïens » qui s’interdisent de résister à la violence sous aucune de ses formes, du moins ceux-là apportent-ils un semblant de logique à leur théorie : tandis que les soi-disant « chrétiens » qui allèguent l’Évangile pour se justifier de leur « neutralité » vis-à-vis des forfaits allemands ne refusent nullement d’invoquer, au besoin, l’intervention de la police, lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts privés. Leur « christianisme » inconséquent n’est rien qu’un misérable prétexte dont ils tâchent à couvrir la honte secrète de leur égoïsme et de leur lâcheté. « La seule nation qui, dans les circonstances présentes de notre vie politique, pratique vraiment la crainte de Dieu, c’est la nation qui, non contente de s’abstenir de faire tort aux autres nations, s’emploie de son mieux à les secourir. Et lorsque nos pacifistes n’osent pas même applaudir à la guerre entreprise par les Belges pour la défense de leur patrie, lorsqu’ils redoutent de tenter le moindre effort pour flétrir et pour punir des atrocités comme celles que nous avons vues s’exercer à l’endroit de la Belgique ou de l’Arménie, ces pacifistes-là craignent Dieu exactement comme le faisaient jadis les Pharisiens, quand ils proféraient en public de longues prières, mais n’élevaient pas un doigt pour alléger le fardeau des victimes de l’oppression et de l’iniquité ! »