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turban d’étoffe autour du « tegoui, » pour ne pas perdre une bouffée de celle vapeur.

Comme Turkia ne semblait plus prêter aucune attention à Fatima, celle-ci, mécontente de l’accueil reçu, avant de quitter ce logis, s’exclama :

— Ces maisons à la mode des Ouadhia ne valent pas les nôtres.

— Ah ! c’est bien à toi de parler, riposta Turkia furieuse, ta demeure ne vaut pas plus de sept cent cinquante francs, comme d’ailleurs toutes les habitations de ce pays, le terrain compris.

Après avoir prié Dieu de guérir la mère de Bourrich, Fatima regagna sa demeure.

Quand elle l’atteignit, elle y trouva les jeunes frères de son mari, Silem et Lounas, enfans de dix et douze ans, et, comme elle était de méchante humeur, elle leur déclara que, puisque l’été approchait, ils iraient dormir sous le hangar qui servait de djemaa [1] : n’était-ce pas l’usage pour les garçons ?

Mais une vieille femme aux reins voûtés comme l’anse d’un panier étant rentrée, entendit sa belle-fille et l’apostropha durement :

— Il n’en sera pas ainsi. Qui commande ici ? Ne suis-je pas Smina, la mère de ton mari ?

Fatma, Seffa et Aïcha la sorcière, qui passèrent quelques instans plus tard dans la venelle, entendirent un grand tapage de vaisselle cassée.

— Il est probable que Smina corrige cette sauterelle de Fatima, murmura la malicieuse Seffa. Laissons-les. Tout est bien qui est voulu par Dieu !

— Qu’aurions-nous à faire en l’absence de nos maris, s’il n’en était pas ainsi ? conclut la vieille Aïcha qui connaissait l’instabilité des humeurs féminines et la fragilité des poteries kabyles.


CHARLES GENIAUX.

  1. Les maisons destinées à la djemaa sont rarement entourées de murs sur leurs quatre côtés.