Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étroite, balançait à mouvemens égaux son pied blessé et se plaignait.

— C’est sa mère, à lui, expliqua Turkia, et ce sont ses sœurs à lui, continua-t-elle en désignant deux jeunes filles en toges de la chaude couleur du pollen de l’arum.

Leurs yeux énormes scintillaient dans l’ombre, magnifiques, sans pourtant rien exprimer : ni pitié, ni ennui, ni amour.

Le temps n’existait pas pour ces jeunes filles, qui restaient pendant des heures immobiles derrière leur mère souffrante, sans lui porter aucun secours.

Belles plantes du Djurjura, elles végétaient avec l’impassibilité des lis. Leur seule besogne, dans la journée, consistait à chercher l’eau et à tourner le moulin à farine. Chaque jour suivait ainsi le jour précédent.

Fatima, qui rôdait parmi les jarres carrées, fut invitée à plonger son bras par leurs bouches bâillonnées de tampons d’étoffe, et elle goûtait ce qu’elle retirait, au hasard. Elle arriva devant le « tiberkitht, » cette cuve maçonnée dans le sol où les femmes piétinent les olives, et, pour amuser ses compagnes, elle mima la danse des travailleuses lorsqu’elles écrasent les fruits afin d’en extraire l’huile.

Interrompant ses plaintes, la blessée prononça :

— Fatima, mon fils t’imaginait sautant ainsi, car vous avez joué étant enfans, et il te croit plus légère que les chèvres.

A ce propos, Turkia rougit de jalousie.

Sans paraître le remarquer, Fatima, par plaisanterie, sauta dans la grande écumoire de terre disposée dans la maçonnerie comme une cuvette sur une table de toilette et dans laquelle les tourteaux s’égouttaient.

Maintenant, Turkia regrettait d’avoir invité Fatima, parce que sa belle-mère l’admirait et que ses belles-sœurs ne la quittaient plus de leurs grands yeux. Mécontente, elle sortit dans la petite cour qui lui servait de cuisine d’été ; elle évitait ainsi d’enfumer les murs recrépis au mois de mai, qu’elle tâchait de garder propres jusqu’à l’automne.

Sur le foyer formé d’un simple trou, Turkia posa les trépieds du « tégoui, » ce vase ouvert qui allait supporter « l’aseqsout, » la marmite-passoire où cuirait le couscous traversé par la vapeur de l’eau bouillante. Elle plaça même un