de terre cuite. L’eau sourd dans un sous-bois exquis. Les viornes s’y épanouissent, tandis que les ficaria dont les griffes sont mangées s’y mêlent à l’acanthe et que la prune de chacal tente la gourmandise des fillettes, ces chevreaux bondissans.
Au-dessous de la fontaine dans les lentisques et les arbousiers, le pouillot siffleur fait entendre sa chanson ironique, tandis qu’au zénith les hirondelles des chrétiens [1] s’abattent rapides comme des flèches.
... Hélas ! la fontaine, presque tarie, oblige chaque femme à maintenir son amphore pendant de longues minutes sous le filet d’eau. Est-ce un mal ? Ou un bien ? Djelma la rousse et Turkia la noire et Fatima la svelte et la vieille sorcière Aïcha elle-même, ne savent s’il faut se réjouir ou se désoler. Après tout, la fontaine et les rochers ombragés qui l’entourent ne forment-ils pas la djemaa [2] des femmes ? Ici aucun homme n’a le droit d’approcher sous peine d’un franc d’amende, édicta la loi berbère, et sous risque d’un coup de fusil, ajoutent les maris jaloux. Seul l’étranger peut se permettre de passer par hasard en ce lieu. Mieux encore, s’il a soif, l’une de ces Rebecca est autorisée à pencher sur sa bouche son vase plein d’eau.
Toujours la petite Alima, dont la toge cramoisie drape le joli corps de danseuse, se souviendra du matin qu’il lui fut donné d’abreuver Ali, fils d’une famille maraboutique de Bougie qui passait sur sa mule. Combien sa politesse lui avait paru suave ! Les montagnards n’ont pas de ces manières onctueuses avec leurs épouses. Ils n’en usent avec elles que comme des vainqueurs le pourraient faire avec des vaincus, — tant qu’elles sont désirables, — et plus tard, chose singulière, la Kabyle vieillie, retirée de l’amour, devient parfois la conseillère du logis. Pauvre conseillère ! Sait-elle rien de la vie ? Voilà peut-être pourquoi la société berbère tourne comme dans un manège sans jamais avancer. La vieillesse des femmes devenues arbitres des familles ramène naturellement l’âge mûr des hommes vers leur point de départ : puérilité des sentimens, des désirs, des espoirs.
Turkia aux yeux de jais, ses cheveux teints au « hadidat, » accroupie devant son amphore vide, attend son tour, les paupières relevées vers le village dont les maisons aux toits de la couleur des nèfles mûres se silhouettent sur le ciel. Elle voit dans le