Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

procureur du Roi, qui fut au nombre de ces malheureux, raconte, dans un rapport effrayant de précision, le sac de la ville, l’affreuse scène de la fusillade des otages (plus de 80 victimes en un seul endroit), et l’odyssée lamentable des survivans. Ce qui ressort de faits dûment établis de certains aveux allemands c’est qu’en réalité, l’armée allemande voulut faire expier à la population civile la résistance tenace que lui opposèrent à Dinant les troupes françaises.

Le Livre Gris invoque, à ce propos, deux documens communiqués au gouvernement belge par les autorités militaires françaises. Ils sont du plus haut intérêt historique et psychologique.

L’un est un rapport détaillé, extrait des renseignemens de l’état-major français sur les opérations autour de Dinant en août 1914 et publié à l’occasion de l’anniversaire du sac de Dinant par le Bureau documentaire belge ; il suffit de le rapprocher des faits allégués par le Mémoire allemand pour voir que ce dernier attribue à la population des actes d’hostilité accomplis légitimement par les troupes françaises.

Le second, inédit, est la relation d’une enquête régulière faite par l’autorité française auprès des prisonniers allemands appartenant au XIIe corps d’armée (Ier corps saxon). Une rafle de plus de 1 100 hommes de ce corps fut faite au cours de la bataille de la Marne. Ils ont été interrogés sous serment par des membres des parquets militaires. Le lieutenant Loustalot, substitut du rapporteur près le Conseil de guerre de Bordeaux, qui a entendu 414 d’entre eux, a dégagé les conclusions de son enquête dans un rapport dont le Livre Gris publie les principaux passages, avec un certain nombre des dépositions enregistrées.

Ce rapport concorde absolument avec les conclusions tirées par la Commission belge de renseignemens d’une tout autre source. Les deux enquêtes, menées séparément, se contrôlent ainsi l’une l’autre. De l’avis du lieutenant Loustalot, le tableau qui apparaît dans les déclarations des soldats saxons, c’est moins encore le pillage et la dévastation d’une ville, que « l’hécatombe d’habitans de tout âge dont les corps tapissent le sol... » — « Ce qui frappe surtout, c’est la sauvagerie déployée vis-à-vis d’êtres faibles et sans défense qui furent parmi les premières victimes... » — « La ville a été mise à feu et à sang.