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et de mort, coupés de toute communication avec l’arrière, reculant dans les conditions les plus difficiles, presque cernés, sans vivres et surtout sans eau depuis trois jours et souffrant de la soif, réservent jalousement les dernières gouttes de ce qui ferait leur boisson pour rafraîchir les pièces qu’échauffe un tir précipité. Ils continuent à décimer l’assaillant. Ils parviennent à sauver une partie de leur matériel. Ailleurs, on nous montre les mitrailleuses ressortant de leurs cachettes, contre toute attente, pour barrer le chemin aux vagues furieuses de l’attaque. En vain, celle-ci a-t-elle pu multiplier les assauts, accumuler et renouveler ses colonnes serrées, jeter une brigade entière, disent certains témoins, contre 275 mètres de tranchées à demi ruinées : entre la mitraille et les tirs de barrage, le flot humain s’écrase et disparaît.

Pourquoi donc l’échec allemand, malgré le progrès des armemens et des méthodes et alors que nous avions presque réussi en Champagne ? À cause d’une moindre habileté d’exécution, de moins de fini dans l’opération tactique, aussi bien que dans le tir et le projectile lui-même. Nous conservons, presque dans tous les détails, l’avantage de la qualité. À cause aussi du développement parallèle de l’outillage de mort des deux côtés du champ de bataille.

Pour vaincre, il faudrait ou la surprise entière ou les moyens d’une victoire préalable et complète dans l’un au moins des domaines techniques qui restent relativement indépendans : une supériorité écrasante de grosse artillerie, par exemple, comme à Gorlice ou en Serbie, ou les élémens d’un bombardement aérien capable de paralyser les soutiens de l’arrière-ligne.

Encore peut-on se demander jusqu’où porterait aujourd’hui un succès de ce genre et quelle forme de guerre de mouvement il permettrait. Nous en avons bien un exemple dans la retraite russe après le forcement des lignes de la Dunajec. Mais la pénurie des munitions, qui avait paralysé la défense sur place, entravait pareillement la riposte. Et cependant, jamais les Allemands ne sont parvenus à réaliser leur dessein de crever largement le front, de déchirer le rideau protecteur derrière lequel se faisaient les transports indispensables, — de prendre à revers, en un mot, les lignes adverses et de couper leurs communications avec leurs centres nourriciers. L’instrument de