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nos premières colonnes au travers des soutiens ennemis. La bataille de Champagne a prouvé qu’on peut tout raser devant tout son front, mais pas assez loin en avant. A grande distance, on n’arrive que par hasard à toucher un canon dont on connaît exactement la position. Et encore faut-il la connaître. Quand l’emploi régulier de l’aviation donna au commandement un moyen d’explorer les lignes adverses, on dut songer à dissimuler les forces. On couvrit de branchages les tranchées et les bouches à feu ; on décora les voitures et les flancs même du canon de peintures étranges qui font ressembler les batteries en marche à des fragmens de décors échappés des coulisses de nos théâtres. Au repos, l’engin de mort se confond avec les marbrures du sol ou les dessins du gazon, avec les troncs des arbres ou les feuilles mortes : c’est le « camouflage. »


II

Contre les deux principaux inconvéniens sensibles en septembre et concernant d’une part la grosse artillerie, d’autre part l’afflux des réserves, le commandement allemand essaya de se prémunir quand il prépara son offensive sur Verdun. Il réunit des masses d’artillerie, et surtout d’artillerie lourde, 21 centimètres, 28 centimètres, 30 centimètres, 38 centimètres, comme on n’en avait jamais accumulé. Il les approvisionna avec une prodigalité inouïe. Au début de l’attaque de Forges, le 6 mars, un récit déclare que la bataille de Verdun restera comme le plus grand duel d’artillerie de cette guerre : 500 batteries de canons se sont fait entendre à la fois, on aurait échangé un million d’obus en 12 heures ; de nombreux secteurs du front français ont reçu dans cet intervalle une moyenne de 100 000 coups chacun. Dans une lettre particulière, nous relevons qu’un rectangle de 450 mètres de long sur 200 mètres de large a été arrosé de plus de 80 000 projectiles de gros calibre, ce qui fait près d’un projectile par mètre carré. Et entre le 20 février et le 7 mars, on estime qu’il a pu être dépensé dix millions d’obus de part et d’autre. La préparation d’artillerie a donc été plus intense, ou du moins plus volumineuse qu’en Champagne ; elle a recommencé à plusieurs reprises ; le nombre des pièces de gros calibre a permis de la faire porter sur