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Depuis lors, nous assistons aux divers essais faits pour rompre les lignes de tranchées. Les mines souterraines n’y suffisent pas. Le problème est cependant le même que dans un siège : il s’agit de faire brèche. Mais la difficulté tient surtout à ce que des retranchemens s’ajoutent et s’improvisent derrière les retranchemens détruits ou menacés. D’une part, la mitrailleuse a rendu suffisante la simple tranchée, vite creusée, plus vite encore protégée par un barrage de fils de fer : il n’est pas besoin de murailles comme celles d’un fort, pour arrêter une armée ennemie ; d’autre part, l’espace indéfiniment ouvert en arrière d’une circonvallation longue de milliers de lieues laisse toute la place nécessaire à des lignes successives, se remplaçant autant de fois qu’on le veut, l’une derrière l’autre. On ne se heurte donc pas, comme dans une place assiégée, à la nécessité de ne pas reculer ses défenses. Mobiles, aisément improvisées, libres sur un vaste terrain, elles échappent, en rompant, à l’étreinte de l’assaillant.

Ainsi, il fallait trouver quelque chose de moins lent que la sape pour franchir les tranchées ; quelque chose qui, d’un bond, permit de sauter par-dessus les lignes successives et de passer derrière elles, dans une surprise, jusqu’à l’espace libre. Alors, on pourrait recommencer cette guerre de mouvement, qui semblait encore la vraie guerre, et dont on n’était séparé que par l’étroit cordon des tranchées. Les Allemands crurent avoir découvert l’instrument vainqueur avec les gaz asphyxians. Le premier jour où ils en firent usage, cela réussit en effet. Mais c’est une arme qu’on ne peut employer de façon continue, puisqu’elle exige un vent favorable. Quand elle a produit ses effets, pour en pousser plus loin l’application, il faut un temps relativement considérable, nécessaire à l’établissement de batteries de gaz sur le terrain conquis.

Le succès ne pourrait donc être complet que si la zone de résistance à franchir était extrêmement mince et si l’on ne trouvait derrière elle ni tranchées de soutien, ni forces solidement organisées. En outre, la projection des gaz en avant est parallèle ; ils ne rayonnent pas leur influence de mort tout à l’entour du point d’émission à la volonté du commandement : si donc ils découpent dans le front adverse un secteur où l’assaillant avance, cet assaillant, par le fait même, se verra exposé sur ses deux flancs à de dangereuses ripostes ennemies.