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camarade. Nous avons eu l’occasion de dire déjà pourquoi il n’y avait pas lieu de s’étonner qu’il eût fallu un assez long délai, — environ sept ans, — pour réaliser cette entreprise. Faudrait-il s’étonner davantage que Shakspeare ne l’eût pas lui-même réalisée ? Les auteurs dramatiques de ce temps semblent n’avoir attaché aucune importance à la publication de leurs pièces, écrites pour la scène et dont toute la destinée se bornait à y paraître. Les directeurs ne favorisaient pas non plus un mode de diffusion qu’ils considéraient comme une concurrence. Il n’y eut en somme, avant l’in-folio de 1623, qu’une seule publication d’ensemble analogue à celle-ci : un volume des œuvres de Benjamin Jonson, en 1616. Il groupait neuf pièces déjà publiées séparément. Shakspeare, en particulier, après fortune faite, et revenu parmi les scènes de sa jeunesse, se laissait aller à d’autres pensées. Il vivait en gentilhomme campagnard, ou, si l’on veut, en gros bourgeois, heureux et fier de ses biens, tout occupé à les administrer. Il lui suffisait maintenant d’être un notable de Stratford.

Sa fille aînée, Suzanne, avait épousé, le 5 juin 1607, un médecin du lieu, John Hall. Nous pouvons admettre, d’après quelques indices sûrs, que William Shakspeare était en relations avec la meilleure société du pays, non seulement ses voisins immédiats, les gens de négoce, parmi lesquels se recrutaient le bailli, les aldermen et les conseillers, et dont beaucoup étaient les amis de sa jeunesse, mais aussi les propriétaires des environs, ces country gentlemen qui entretenaient les meilleures relations avec les bourgeois de la ville, comme sir Fulke Greville, par exemple, archiviste de la commune de Stratford et Justice of the Peace. Celui-ci, en effet, venait assez souvent et acceptait l’hospitalité du bailli et de son cercle. Non loin de là, au manoir de Clifford Chambers, où résidaient sir Henry et lady Rainsford, le poète Drayton passait plusieurs mois par an. Il était lié avec Shakspeare, dont le gendre, John Hall, eut d’ailleurs l’occasion de lui donner ses soins, ainsi qu’à lady Rainsford.

La vie de Shakspeare à Stratford n’était donc celle ni d’un solitaire ni d’un rustre. Une affaire de communaux entre le Conseil et deux grands propriétaires, les Combes, nous apporte une preuve nouvelle de l’influence locale du poète, que les deux parties se disputent. D’après le vicaire John Ward, curé de