Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Monumens), figure, parmi des comptes de l’année 1613, la mention suivante : « Item du 31 mars à Mr. Shakspeare en or pour la devise de Monseigneur 44 shillings ; à Richard Burbage pour peinture et exécution d’icelle, en or, 44 shillings ; (total) 4 livres, 8 shillings. » Rien de plus simple. Au début de 1613, c’est-à-dire l’année qui suivit la mort de Roger Manners, comte de Rutland, son frère Francis demanda à Shakspeare et à son ami le grand acteur Burbage, renommé pour son talent de dessinateur et de peintre, de lui composer, selon la mode du temps, une de ces devises ornées d’emblèmes dont l’usage et le nom, — impreso, — s’étaient répandus d’Italie en France et en Angleterre. Cette démarche prouve seulement que Shakspeare n’était pas, comme le veut M. Demblon et comme il le faut pour sa thèse, un rustre ignoré, le « boucher stratfordien. » Un grand seigneur s’adresse à lui comme un Montausier aurait pu s’adresser à Molière, et l’intendant, qui écrit sans qualification le nom de Burbage, y met plus de formes avec « Mr. Shakspeare. » Si on veut absolument que le texte ait une importance décisive, il n’y en a qu’une à lui reconnaître : c’est qu’il ruine la théorie de M. Demblon. Mais M. Demblon raisonne d’une autre manière. Les relations de Francis Manners, sixième comte de Rutland, avec « Shaxper, » ce « service semi-professionnel » (sic) qu’il lui demande, est-ce assez clair ? Un autre document laissait « entrevoir » par surcroît que Roger Manners, cinquième comte, s’était entremis auprès du conseil héraldique pour faire accorder au père de Shakspeare des armoiries. Vite, qui est ce Rutland ? M. Demblon trouve quelques linéamens de biographie dans le Dictionnaire de biographie nationale. « Ces linéamens suffisent : un coup d’œil nous avait déjà convaincu ! » M. Demblon a la conviction facile autant qu’ardente. Il ne s’est donc point avisé et sans doute ne s’embarrassera point des très graves objections qui auraient dû l’arrêter.

On ne s’explique pas d’abord que le jeune Rutland ait déjà, vers sa dix-septième année, emprunté le nom de Shakspeare pour publier le petit poème de Vénus et Adonis. Les raisons qu’il pouvait avoir, en 1598, de donner le change en faisant porter la responsabilité de ses pièces à un acteur, ne s’appliquent ni à la date, ni à la nature des poèmes de 1593 et de 1594. Ajoutons que, dans l’hypothèse de M. Demblon comme dans celle des Baconiens, le choix de cet acteur s’expliquerait assez