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Sidney, fille de l’illustre et charmant sir Philippe Sidney que la Reine appelait le « joyau du règne, » c’est Rosaline de Peines d’amour et Bianca de la Mégère apprivoisée ; c’est Portia du Marchand de Venise, Viola de la Douzième Nuit et surtout Béatrice de Beaucoup de bruit pour rien. Enfin, Hélène et Bertrand s’épousent dans Tout est bien, comme s’épousaient dans la réalité et à ce moment même, en 1599, Roger Manners, comte de Rutland, et Elisabeth Sidney. Le Protée des Deux gentilshommes, c’est Southampton, dont Rutland critique avec une amicale franchise les aventures de cœur et les infidélités ; Julie, c’est Elisabeth Vernon, et nous les retrouvons ensuite dans le Songe d’une Nuit d’été, où Démétrius cherche à laisser Hélène pour se rapprocher d’Hermione, comme Southampton, à cette époque même, s’éloignait d’Elisabeth Vernon et recherchait la main d’une des sœurs de Rutland, Brigitte Manners ; et Hermia repousse Démétrius comme la sage comtesse Brigitte repousse le grand ami de son frère, infiniment séduisant, mais trop volage. Ne les reconnaissons-nous pas une fois de plus dans ce Claudio, à la fois loyal et soupçonneux, de Beaucoup de bruit, dans cette Hero injustement accusée ? Et n’est-ce pas lui une fois encore, cet autre Claudio de Mesure pour mesure, jeune gentilhomme emprisonné, comme l’avait été Southampton, parce que Juliette, c’est-à-dire Elisabeth Vernon, a mis avant le mariage un enfant au monde ?

M. Demblon remplit deux chapitres de son second livre, — plus de cent pages, — à relever des analogies de ce genre. La rivalité des Capulets et des Montaigus, par exemple, lui paraît un écho de celle des Cecils et du clan d’Essex, et il rappelle à ce propos que Southampton, affilié à ce dernier groupe, avait failli épouser la fille de William Cecil, lord Burghley. Il remarque même que la mère de Southampton s’appelait Monteagle. L’un après l’autre, presque tous les personnages des comédies sont ainsi identifiés et attestent que ce monde, avec ses grâces, ses intrigues et ses passions, est bien le monde du comte de Rutland.

Pareillement, les tragédies et les « histoires » évoquent les préoccupations politiques, le milieu historique et les opinions personnelles de ce noble gentilhomme. Bornons-nous à marquer ici quelques-uns des traits principaux. Les trois Henry IV, Richard III (qui constitue une quatrième partie), Richard II et