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Est-il besoin de remarquer d’abord, sur la question des faits, qu’aucun d’eux n’est décisif et qu’ils se prêtent trop aisément à d’autres interprétations ? Par exemple, à côté des citations shakspeariennes et autres mentions trouvées dans les papiers de Bacon, figure le titre d’une pièce satirique (aujourd’hui perdue ; de Thomas Nashe, l’Ile des Chiens, jouée en 1597, et qui valut à son auteur de la prison. Si l’on songe que Richard II est de 1598 et fut repris, à la demande des conjurés, au moment de la conspiration d’Essex, la veille même du soulèvement, il sera légitime de supposer que la découverte de Northampton House est celle d’un dossier relatif à des pièces incriminées et que dut réunir Bacon, en sa qualité de conseiller de la reine, chargé de soutenir l’accusation. Quant à la publication de l’in-folio, il est assez naturel qu’un dramaturge du temps d’Elisabeth ne se soit pas occupé de donner une édition complète de ses œuvres et qu’il ait fallu, après sa mort, quelques années à ses amis pour mener la tâche à bonne fin.

Nous objecterons de même aux prétendues concordances entre l’œuvre shakspearienne et telle ou telle particularité de la vie de Bacon que, d’une part, il est trop facile de fausser ou de forcer l’interprétation des passages en cause, et que, d’autre part, s’ils signifient bien ce qu’on leur fait dire et si donc ils impliquent bien les conditions qu’on leur attribue, rien n’est plus arbitraire que de déclarer ces conditions irréalisables en dehors de la personnalité de Bacon. Y a-t-il vraiment une allusion à l’Inner Temple dans la scène IV du IIIe acte du premier Henry VI ? Le point est déjà discutable ; mais ce qui est plus discutable encore, dans le cas de l’affirmative, c’est la nécessité de recourir à Bacon et l’impossibilité d’admettre pour l’auteur aucun autre moyen de connaître l’Inner Temple.

Il va de soi que si l’intérêt des argumens baconiens augmente, à mesure qu’ils deviennent plus généraux, leur valeur au contraire diminue, comme si leur cercle se desserrait autour de la figure qu’ils veulent étreindre. Ils finissent par ne plus invoquer que des ressemblances, non seulement possibles, mais plutôt presque inévitables entre grands contemporains : communauté d’idées, de sentimens et de langage. Encore, sur ce dernier point, s’il est naturel que deux écrivains d’une même époque, et la plus exubérante de la littérature anglaise, aient en commun la richesse du vocabulaire, faut-il remarquer que Bacon a laissé