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VISITES AU FRONT.

raconter toutes les péripéties de la lutte. Pendant que nous regardions ce tableau, nous fûmes assourdis par la voix de tonnerre d’une batterie juste au-dessus de nous : le sommet de la colline que nous gravissions était peuplé de 75.

En face, on commençait avoir les geysers de poussière noire et brune s’élever des branchées allemandes ; de leurs batteries, partaient la flamme et le tonnerre des représailles. En bas, les petits soldats français continuaient à grimper paisiblement au village saccagé, et bientôt un groupe d’officiers d’état-major vint au-devant de nous, sortant tout à coup du bois.

En continuant à grimper à travers la forêt, au son de la canonnade échangée au-dessus de nos têtes, nous arrivâmes à la colonie de « trappeurs » la plus raffinée que nous eussions encore vue. À demi souterraines, avec des murs de bûches et des toits épais de mottes cimentées de mousse et de fougères, les cabanes, éparses sous les arbres, étaient reliées par des passages bordés de cailloux blancs. Devant la cabane du colonel, les soldats avaient planté un massif de fleurs grimpantes. Dans un repli de la colline, une chapelle construite en bûches, un simple toit au-dessus d’un autel de bois, tout tapissé de lierre et de houx. L’officier commandant, après nous avoir fait les honneurs du camp, nous mena à deux cents mètres plus bas à une ouverture qui marquait le commencement des tranchées : nous passâmes dans un long et tortueux boyau muré et couvert de bûches soigneusement ajustées : le sol était couvert de lattes de bois. Ce tunnel n’était éclairé que par quelques rayons de lumière filtrant par d’étroits intervalles masqués par des branches ; et à côté de chacune de ces meurtrières pendait une sorte de volet de métal en forme de bouclier qui pouvait au besoin se glisser devant l’ouverture.

Ce passage descendait tout le long de la colline, se doublant presque lui-même, afin qu’on pût avoir vue sur toutes les lignes environnantes. Soudain, le plafond devint plus haut et nous vîmes d’un côté une niche fermée par un rideau à près d’un mètre au-dessus du sol. Un officier tira ce rideau pour nous montrer assis sur une planche étroite, son fusil entre les genoux, un dragon, l’œil fixé à un créneau. Il ne bougea pas, et l’officier remit vivement le rideau en place, dans la crainte que ce faible rayon de lumière ne trahît la présence de la sentinelle. Nous dépassâmes plusieurs de ces gardiens casqués : parfois